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   En 170 (883), la mosquée de Cordoue apparaît avec ses arceaux festonnés, le damier de ses marbres aux nuances vives et la broderie de ses chapiteaux. Les stucs se découpent en dentelles, la mosaïque et la faïence tapissent de leur floraison polychrome des pans de murs tout entiers. Pourtant, à regarder de près tout cela, l'enchantement bientôt se dissipe : le fini de l'exécution manque, l'arabesque n'est qu'un brutal moulage, les lambris qu'un mensonge doré. L'artiste n'est pas encore sûr de lui; il ne sait pas encore enlever ses méplats sur un fond de bois ou de plâtre, et, comme souvent il l'a senti, les moyens par lesquels il a essayé de le dissimuler n'ont fait que le souligner. D'où venaient ces artistes? Certains, sans aucun doute, avaient suivi Moaouyah et El-Oualîd, et s'étaient établis au Moghreb ou en Espagne à l'époque de la conquête. Grecs ou Coptes, ils avaient bâti les premiers monuments à l'imitation de ceux de la Mekke, de Médine, du Caire ou de Damas. Mais l'avènement des Ommîades d'Occident, en émancipant le Moghreb, avait du même coup rendu l'art indépendant, et les hérédités des anciennes races s'étaient une fois de plus fait jour dans le style du culte nouveau. C'est donc le caractère d'une race occidentale qu'on y retrouve, et de là découlent ces mille traits particuliers qui en font un art spécial et le séparent de l'art de l'Orient.

A Baghdad, pendant ce temps, les architectes d'El-Mansour, de Haroun et d'El-Mamoun érigeaient ces palais dont la magnificence est pour nous restée si présente, que rien que d'y penser suffit à nous donner cet éblouissement qu'éprouva Charlemagne lorsqu'à Aix-la-Chapelle il reçut, pour la première fois, les ambassadeurs d'Er-Reschîd. La cour des khalifes devenait l'école par excellence où se formaient les poètes, les artistes, les théologiens et les savants. Des conférences doctrinales s'y assemblaient, auxquelles les souverains aimaient à prendre part à titre de philosophes. Ce n'étaient plus les barbares qui avaient conquis l'empire au temps du Prophète, mais des dilettanti, des protecteurs des lettres et des arts, quelquefois même des penseurs. 

    

 

    Haroun découvrait l'algèbre, faisait traduire les livres hébreux, syriaques, grecs et latins en arabe; El-Mamoun restaurait Baghdad et la mosquée de la kaâbah ; il se plaisait à réunir les théologiens de Byzance, les mages de Perse, les rabbins juifs, les brahmines hindous et les pontifes guèbres, et à sonder avec eux les problèmes les plus obscurs du cœur humain; il prenait part aux travaux des astronomes, surveillait la construction de ses palais et, tel qu'un Médicis, s'intéressait à tout ce qui touchait à la littérature et à l'art. Molaouakkel-ala-Allah se bâtissait ce palais Djafîr dont la splendeur surpassait celle des palais de Haroun ; Baghdad était devenue un foyer vers lequel affluaient toutes les forces vives de l'art arabe pour se répandre et rayonner sur l'Islam.

Rien n'est resté debout de ces édifices. Dévastés à chaque invasion ou à chaque émeute, pillés, dépouillés de leurs ornements précieux, ils ne furent bientôt plus qu'un amas de décombres méconnaissables, où chacun vint puiser des matériaux de construction. La perte est d'autant plus irréparable que l'art de cette période dut être pour l'Occident encore barbare la révélation d'une chose inconnue, à laquelle il a trop pensé pour n'avoir point essayé de l'imiter. En France, les Maures d'Espagne, déjà maîtres de la Provence, du Languedoc et de l'Aquitaine, s'avancent en Poitou pour ne s'arrêter qu'en Bourgogne, à Tournus. En 184 (800), les Aghlabites s'emparent de la Sicile et étendent leur domination sur la côte sud de l'Italie. Constantinople assiégée ne résiste qu'à grand'peine aux armées du khalife. Les pays ainsi envahis étaient ruinés, soit; mais il entrait trop dans les mœurs des Arabes de bâtir partout où la victoire les avait poussés pour qu'ils n'aient point couvert de leurs monuments les villes qu'ils avaient saccagées, comme s'ils devaient y rester toujours.

Réduits aux récits qui nous sont parvenus, ces monuments nous semblent pourtant si nets et si précis ! C'est un ensorcellement des yeux, une fulgurance magique; 

 
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