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Deux lois régissent le monde musulman -
la Sounnah et l'Hadith; l'une est la loi écrite,
donnée par le Prophète; l'autre, le recueil d'opinions exprimées
par lui et conservées par ses disciples.
Or un seul verset de la Sounnah peut être considéré comme
une proscription des figures animées. Le voici : " O Croyant?
le vin, les jeux de hasard et les idoles sont des abominations
inventées par Satan ; abstenez-vous-en et vous serez heureux.
"
Par contre, l'Hadith renferme les deux sentences suivantes
: " Malheur à celui qui aura peint un être vivant! Au jour du
Jugement dernier les personnages qu'il aura représentés sortiront
du tombeau et viendront se joindre à lui pour lui demander une
âme. Alors, cet homme, impuissant à donner la vie à son oeuvre,
brûlera des flammes éternelles. " Et plus loin : " Dieu m'a envoyé contre trois sortes de gens pour les
anéantir et les confondre. Ce sont les orgueilleux, les
polythéistes et les idolâtres. Gardez-vous donc de représenter
soit le Seigneur, soit l'homme, et ne peignez que des arbres, des
fleurs et des objets inanimés. "
Ce dernier passage a le don d'être clair, j'en conviens, mais en
même temps le défaut de n'être qu'un commentaire... et l'esprit
subtil du commentateur a bien pu exagérer légèrement le précepte
entendu.
Admettons pourtant qu'il traduise une interdiction absolue,
est-ce une raison pour que toute une école d'art lui ait obéi? La
Perse, pour musulmane qu'elle soit, n'en aurait pas moins fait bon
marché de cette défense; Elle a eu ses tableaux, ses statues et
des collections entières d'aquarelles sont même là qui nous
prouvent l'un talent fort délicat de ses imagiers. En eût-il été
autrement dans le reste de l'empire des khalifes si les mêmes
affinités s'y étaient manifestées? Pour ma part, je ne le pense
pas.
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En proscrivant la forme humaine, l'Hadith résumait en
un dogme l'inclination des races spiritualistes ; en y renonçant,
l'art arabe cédait à une répugnance héréditaire dont la trace
se retrouve à chaque pas dans l'histoire des peuples de l'Orient.
C'est d'abord l'anathème dont les Pères de l'Église chrétienne
frappent les images; l'acharnement déployé contre elles par les
Orientaux pendant la querelle des iconoclastes1 et cet
éloignement pour toute représentation animée dont de bonne heure
fait preuve l'école byzantine de la Syrie du nord. Les villes de
haute Syrie explorées par M. de Vogüé2 n'ont pas de
bas-reliefs à personnages ; sur les monuments coptes d'Égypte3
se lit la même répulsion pour l'imitation, la même recherche
d'un art où puissent s'incarner des rêves d'infini.
Le sculpteur s'adonne à l'arabesque, à l'assemblage de formes
symétriques, à la poursuite de l'incréé. Livré à lui-même,
il eût alors trouvé la formule d'un art nouveau et donné au
christianisme primitif son interprétation véritable. Par malheur,
l'hellénisme le paralysait. Non content d'emprisonner l'âme sous
la coupole, il avait fait des figures chrétiennes une bacchanale
olympienne, et grâce à la suprématie religieuse exercée par
lui, son thème s'était implanté comme celui de l'art de la
chrétienté. Le spiritualisme de la Syrie et de l'Égypte avait pu
se rebeller, il n'avait pas eu à son service un enseignement qui
lui permît de s'imposer par des chef d'œuvre; il avait pu
poursuivre son idéal, il n'avait pu le proclamer. Délivré de
cette tutelle par l'apparition de l'Islam, il reprenait son
indépendance et, pour avoir été comprimé par elle, se
réveillait plus vivace que jamais. |
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1. Ch. Bayet, l'Art byzantin (Bibliothèque de
l'enseignement des beaux-arts, A. Quantin, éditeur).
2. De Vogüé, Architecture civile et religieuse de la Syrie centrale
du IVe au VIIe siècle.
3. Al. Gayer, la Sculpture copte (Gazette des Beaux-Arts, 1892). |
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