|
C'est la seulement qu'il faut chercher la cause de l'éloignement de
l'Orient pour la forme humaine. Les anatomistes grecs avaient trop
froissé son sentiment: ils s'étaient trop complu à lui montrer
des paquets de chair là où, selon lui, devait vibrer une croyance;
et à le froisser ainsi, ils avaient fini par le lasser pour
toujours.
La première, l'école d'Alexandrie, en proie à cet état d'âme
qu'avec les théologiens j'ai nommé " la délectation morose
", s'était détachée de Byzance pour chercher dans un art
rythmique l'expression de ses extases. Elle était retournée aux
assemblages réguliers de motifs fleuris, de losanges et de carrés
ornemanés des plafonds des tombes de l'ancienne Égypte; puis,
quand, au concile de Chalcédoine, l'église copte s'était
séparée de l'église grecque, elle avait rompu, elle aussi; avec
l'art byzantin. Monophysite, le Copte, pour cela même qu'il ne
reconnaissait dans la divinité que la nature divine, s'était
éloigné de la plastique humaine. Les formes, un instant encore
conservées, s'étaient une à une déprimées et rigidifiées : au
modèle s'était substitué un agencement géométrique de
feuillages disposés selon une symétrie voulue, des arabesques et
des fleurons. Rien de plus curieux que les figures de cette période
: " Qu'il ait à sculpter le buste d'un homme ou le corps d'un
lion, l'artiste revient constamment à la ligne droite, à
l'horizontale, à la verticale, aux plans successifs que rien ne
relie entre eux. S'il s'agit d'un homme, le nez devient un cylindre,
les yeux des globes sertis dans d'étroits ovales, les pectoraux
s'accusent par deux circonférences et le pli du ventre par un
demi-cercle. Chez le lion, la décomposition de la forme est encore
plus grande. Chez lui aussi, le masque commence par se rigidifier,
les prunelles par se faire sphériques; puis les dents et les
griffes se changent en denticules, pendant que la tête devient un
ovoïde où rien ne rappelle le crâne; et le mufle finit par
n'être bientôt plus qu'un mascaron mi-partie animal, mi-partie
ornemental, qui du lion n'a plus que l'apparence. A l'animal
appartiennent encore les grandes lignes et les masses,
|
|
|
|
mais tout le
détail se complique d'éléments étrangers. Au relief
anatomique succède une composition qui va toujours le
remplaçant, les oreilles et les lèvres se contournent en
feuillages, la crinière en palmettes et le nez en fleuron
trilobé. Pour rendre l'idée qu'il se faisait de l'homme ou de
l'animal, il eût fallu au Copte, comme à ses ancêtres, fausser
les proportions anatomiques, avoir recours à de véritables
architectures animales ou humaines et provoquer par des rapports
de ligne le sentiment perçu. Ce qui avait été d'abord
l'exception devint bientôt la règle, et l'Égypte ralliée à la
doctrine monophysite, ce style se constitua et s'affermit. Une à
une chaque forme animée s'altéra et disparut, son détail se
mêla de polygones, de branches de feuillages, d'enroulements et
d'arabesques qui peu à peu l'absorbèrent tout entier1.
"
A l'époque où le Prophète prêcha le Koran, cette école
avait déjà abordé l'assemblage des polygones; mais, inhabile à
manier les fractions d'angles, elle s'était arrêtée aux
combinaisons simples de triangles, de carrés ou de losanges; les
feuillages, son sujet favori, imités d'abord de la nature,
s'étaient idéalisés; le sculpteur en avait modifié la
contexture, disposé au gré de sa fantaisie les dentelures et
fait d'eux non pas une forme, mais une ondulation symbolique, où
sa pensée pouvait à l'aise se jouer et se reposer. |
|
II. - LES ÉLÉMENTS DU STYLE
ORNEMENTAL. |
|
C'est tout cela qui renaît dans
l'art arabe. Le Copte n'est pas seulement l'architecte de la
mosquée, mais encore l'ornemaniste. Chrétien ou musulman, ses
instincts sont toujours les mêmes : il est toujours livré à la
" délectation morose "; |
|
1. AI. Gayet, la Sculpture copte (Gazette des
Beaux-Arts, 1892). |
|
|