Réduit à recevoir de son vizir une
pension de 100 dynars (1,500 francs) par mois, Mostanser se
décida enfin à un acte de vigueur qui mit un terme à cet état
de choses. Tous les émirs de la garde invités à un grand dîner
sont poignardés à un signal convenu, leurs têtes amoncelées
devant l'ordonnateur du massacre, et un instant, le khalifat
fatimite reconquiert sa grandeur et répare ses ruines. Mais un an
ne s'était pas écoulé depuis la mort du khalife qu'à l'appel
du vieil empereur de Constantinople, Alexis Comnène, la première
croisade se mettait en marche vers Jérusalem. C'était là un
nouveau danger pour l'Égypte, qui allait paralyser pour longtemps
l'art dont elle venait de voir se développer la formule, mais
qui, du même coup, le préservait de l'influence tartare et lui
permettait de se reconnaître et de s'acclimater.
Tandis que Pierre l'Hermite prêchait la croisade, les Turcs
Seldjoukides et Ortokîdes, descendus des hauts plateaux de la
Tartarie, s'étaient avancés à travers la Perse et l'Asie
Mineure et venaient de pénétrer en Syrie, en dépit d'une
victoire passagère du généralissime de Mostanser, l'émir Ed-Djïoueh. Aucune barrière ne les arrêtait plus. Les khalifes
de Baghdad, ennemis héréditaires des Fatimites, loin de leur
disputer le passage, étaient prêts à s'allier à eux.
L'arrivée des croisés sur les côtes de Syrie créerait donc une
heureuse diversion qui sauvait les Fatimites d'une invasion
certaine et laissait à leur art le temps d'affirmer les tendances
qui, sous El-Hakim, s'étaient manifestées pour la première
fois. |