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A peine entrés à Jérusalem, les
croisés, il est vrai, s'étaient avancés vers l'Égypte. En 511
(1117), Baudouin s'était emparé de Péluse et l'avait livrée aux
flammes; mais, pris de fièvre, il était mort quelques jours après
et ses troupes s'étaient retirées sans penser à pousser plus
loin. Depuis, les khalifes du Caire avaient évité avec soin de se
mêler aux luttes soutenues par les princes syriens pour leur
indépendance, et, tenus en échec par ceux-ci, les croisés
n'avaient point donné suite au projet de conquête de leur chef. En
sorte que quarante ans encore le khalifat put jouir de ce calme
factice fait d'appréhensions et d'espérances qui est le propre des
temps troublés.
Si rares qu'aient été les monuments de cette période, ils
l'ont traduite à merveille. Une mièvrerie se lit dans les courbes
tourmentées de leurs arabesques, l'assemblage hésitant de leurs
polygones à côtés impairs et la flore malingre de leurs rinceaux.
La souplesse des contours se fait frêle, les pleins s'évident et
toutes les surfaces lisses se constellent de délicats ornements. Il
suffit de citer comme spécimens de cette école maladive les
sculptures de Gama El-Fakaany, de Gama Thélaïaboû-Rézîk, le
mimber de Ghous et le mirhab de Sitta-Néfissa. Certaines sont de
purs chefs-d'œuvre d'élégance. L'assemblage pentagone et
heptagone est employé de préférence par les polygonistes.
Rarement on rencontre le groupe dérivé du dodécagone, de
l'hexagone et du carré assemblés ou de l'octogone et du carré
qu'avaient employés les premiers Fatimites; et au mimber de Ghous,
l'arabesque s'est entièrement affranchie de l'imitation. Elle n'est
plus qu'un entrelacs fleuri, une polygonie végétale palissée sur
celle du réseau.
Au milieu de cette incertitude, une révolte de palais entraîna
le renversement de la dynastie fatimite. L'an 555 (1159), sous le
khalife Abd-Allah-el-Added-le-dîn-Illah, un vizir disgracié,
Chaour, passe en Syrie et implore l'appui du célèbre adversaire
d'Amaury, Noured-dîn, pour se ressaisir du pouvoir.
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Celui-ci rassemble aussitôt une armée, la place sous le
commandement de l'un de ses favoris, un Kurde nommé Chirkoueh, et
l'envoie rétablir le vizir tombé. Mais, appelés par le khalife,
les croisés l'avaient devancée et ce furent eux qu'il lui fallut
combattre. Réintégré dans ses dignités, Chaour reconnut vite
dans ses protecteurs ses plus redoutables adversaires et pour s'en
débarrasser s'allia à Amaury. Dix années durant, l'Égypte vit
alors se dérouler des négociations sans fin et des combats aussi
sanglants qu'indécis, où les alliés de la veille furent ses
adversaires du lendemain.
La lutte menaçait de s'éterniser quand le khalife, prenant le parti
de traiter avec Nour-ed-din, lui offrit le tiers des revenus de l'Égypte
s'il consentait à le délivrer de son vizir et des croisés. Quelques
jours après, ces derniers, battus, regagnaient la frontière syrienne et
Chirkoueh prenait au Caire la place de Chaour qu'El-Added avait fait
décapiter. Ce traité ne faisait qu'accélérer la chute du khalife et
celle de sa dynastie. Deux mois plus tard, Chirkoueh mourait et son neveu
Salehed-dîn, le Saladin de nos chroniqueurs, s'installait à sa place. A
la mort d'El-Added, il reconnaissait officiellement l'autorité des
Abbassides et se faisait leur vassal avec le titre de sultan.
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II. - LA DYNASTIE AYOUBITE. |
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L'Égypte cessait d'être la capitale du
monde oriental, elle passait sous une dénomination étrangère; mais à
cela près, rien n'était changé dans son existence aussi, l'avènement
de Saleh-ed-dîn n'eut-il sur l'art qu'une action secondaire, visible tout
au plus à quelques détails. Ses monuments dénotent la volonté et la
force; une réaction s'opère, qui. fait de l'art gracile des derniers
Fatimites un art plus ample. En même temps, le sculpteur remonte à la
tradition des polygonistes que ne hantait pas encore l'effet des lignes
dépourvues de tous ornements. |
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