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Tout au contraire, l'art prospère et continue à briller.
Indifférent en apparence, il poursuit sa marche sans s'inquiéter
de ce qui se passe autour de lui, et grandit même à mesure que le
trouble augmente; n'était son manque de souffle, aucun indice ne
trahirait sa fin prochaine. Seulement, les langueurs graciles et les
délicatesses subtiles de tout ce qui, frappé à mort, se survit un
instant dans un spasme de renouveau factice le pénètrent; peu lui
importe le monde extérieur : il ne subsiste plus que sur lui-même
et pour lui.
Aussi les mosquées ne cessent-elles de se multiplier, sans que
se modifient les traits essentiels de leur ordonnance. Tout au plus
quelques architectes essayent-ils de loin en loin d'allier les
dispositions de la mosquée primitive aux dispositions de celle du
sultan Hassan. Cette dernière n'en reste pas moins le modèle que
chacun d'eux se propose. Eussent-ils voulu s'en écarter, ils ne
l'eussent pu qu'en renonçant à la tradition que leur avaient
transmise les siècles, et aux aspirations mêmes de leur race; tout
au contraire, ils en vivaient.
Ainsi s'est trouvé définitivement fixé par eux le type de la
mosquée sépulcrale. Sous les Fatimites, à peine comptait-on
quelques chapelles funéraires dans l'enceinte de la ville. Du XIVe
au XVe siècle, chaque mosquée eut son tombeau. Mais, si
enracinés étaient encore chez les Bordjites les principes de leur
art, qu'ils ne se sont point bornés à mettre en œuvre des
éléments d'origine diverse. Ils leur ont fait retracer les
incertitudes de leur époque, et en cela ils se sont montrés
véritablement créateurs. Le plan et les principes de la
construction restent les mêmes; les détails s'épurent et
acquièrent un extraordinaire degré d'élégance et de sveltesse.
Cette beauté morbide se retrouve d'ailleurs partout dans l'histoire
de l'art des peuples pensants. L'Égypte antique, qui avait
produit ces oeuvres colossales dont la masse s'était dressée comme
le symbole d'une éternité que rien ne saurait émouvoir jamais, a
connu sous les
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Ptolémées l'extrême limite de la fragilité et de la souplesse; et l'art du
moyen âge, après avoir élevé ces gigantesques monuments où chaque ligne
est comme l'expression d'un vertige, s'est, à la Renaissance, paré de ses
fleurs les plus délicates pour mourir.
A l'extérieur, la mosquée bordjite diffère peu de la mosquée baharite.
Elle est moins imposante peut-être, mais plus somptueuse. Son portail a des
voûtes en encorbellement trilobé, tantôt frangées de stalactites, tantôt
plaquées d'une marqueterie présentant les dessins les plus divers. Lorsqu'un
collège atteint au sanctuaire, de larges baies s'ouvrent dans la façade, ou
bien un sébil (fontaine) est installé à l'un des angles avec sa
grille de bronze, ses dallages de marbre et ses plafonds où les solives sont
couvertes d'arabesques d'or. A l'intérieur, le plan en croix sert de base aux
architectures les plus savantes. Toujours le sahn en occupe le centre :
l'un des bras est le maksourah; les trois autres les trois liwans.
Seules, leur proportion, leur disposition et leur structure varient. Ici, le
sanctuaire rappellera celui des mosquées primitives, avec ses rangées de
pilastres ou de colonnes, ailleurs la nef grandiose de la mosquée du sultan
Hassan; ailleurs encore il formera nef, pendant que les liwans seront
divisés en portiques; tantôt le tombeau s'ouvrira derrière le sanctuaire;
tantôt rejeté en dehors du plan général, il fera avant-corps; tantôt
enfin, deux tombes occuperont les deux angles des bras supérieurs de la
croix. Le minaret et la coupole étaient surtout susceptibles de personnifier
l'esprit de leur époque; ce fut sur eux que se concentra le talent du
constructeur. Déjà, sous Kalaoûn et Beïbars, le minaret s'était élancé
pour suivre l'aspiration de l'âme ; les Bordjites le surélevèrent à
nouveau pour lui en faire soutenir les hallucinations. Ils établissent étage
sur étage, terrasse sur terrasse, tourelle sur tourelle, et placent le
couronnement le plus haut qu'ils peuvent. Mais, habitués à manier sans cesse
des polygones, c'est encore par la polygonie qu'ils entreprennent de vaincre
toutes les difficultés.
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