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Les minarets de Kalaoûn et du sultan Hassan avaient eu des tours carrées en retrait l'une au-dessus de l'autre; chaque étage s'était entouré d'un balcon en encorbellement. Ils inscrivent dans le carré de la première tour une seconde tour octogone; sur celle-ci une tourelle ronde et sur le tout une lanterne pareille à un baldaquin. 
Et, pour que l'élancement se dessine davantage, ils suppriment la terrasse qui séparait la première tour de la seconde (fig. 92); le minaret pyramide, les angles du carré se rabattent en glacis à la base de la tourelle; tandis que, par contre, les encorbellements des autres étages s'exagèrent, des stalactites accouplées se disposent de manière à circonscrire à la tourelle octogone un balcon à seize pans. De la sorte, le minaret s'amincit à mesure qu'il monte; il se pare de chevrons et de tresses; des guirlandes de fleurs et des rosaces s'enroulent aux tourelles; les balcons s'évident; la coupole de la lanterne n'est plus qu'un dôme de bronze fleuri d'arabesques, aux flancs duquel des tiges métalliques sou,tiennent des lampes qu'on allume aux soirs de grandes solennités.

La coupole du tombeau se couvre, elle aussi, d'entrelacs et se fleurit aussi de lianes; on dirait qu'une guipure immense s'est drapée sur lui. Son tambour pyramidal se modèle d'ondulations rayées de zigzags, de profils de rinceaux et de feuillages. A l'intérieur, les stalactites se subdivisent et prennent pour centres des polygones à côtés impairs et des assemblages incertains et tristes; c'est là qu'on peut le mieux juger de la décadence de l'art bordjite; il se replie sur lui-même frappé à mort.

Fig. 92. - Mosquée d'EL-ACHRAF-BARSEBAÏ
    

 

    Au résumé, la période bordjite n'a été que l'affinement des conceptions que la période précédente lui avait léguées. Elle n'a rien créé, elle n'a rien innové, elle a accepté l'héritage de ses devanciers et s'en est contentée sans y rien changer et sans y rien ajouter. Elle n'a eu qu'un souci : être élégante, et en cela on peut dire qu'elle a parfaitement réussi. Trop nombreuses sont les mosquées bordjites pour qu'il soit possible de les énumérer toutes et de chercher dans chacune d'elles la marche progressive des divers états d'âme qu'elles ont personnifiés tour à tour. Il suffira de passer en revue quelques-unes de celles où ces états se sont le plus particulièrement manifestés. La plus vaste de toutes est celle du sultan Barkoûk; elle est la première aussi où se lise un symptôme de décadence.

Vue du dehors, elle a encore l'aspect imposant des constructions baharites; à l'intérieur, le style est déjà maniéré. La cour est entourée de galeries disposées en croix ; celle du maksourah est à trois rangées d'arcades ogivales; supportées par des pieds-droits élancés comme des piliers d'église, vraie salle hypostyle d'une mosquée primitive, à cette différence près, que les plafonds sont remplacés par une suite de petits dômes surbaissés. Deux tombeaux la flanquent, dominés d'une coupole à nervures cannelées de fière envergure ; et au-dessus de la façade deux minarets se profilent, pareils à ceux du siècle précédent. Les liwans latéraux sont également formés d'une rangée d'arcades, celui qui fait face au sanctuaire de deux.

Malgré sa grandeur, cette mosquée a quelque chose de grêle : l'appareillage rouge et blanc des murs donne aux arcs, aux piliers et aux voûtes un charme qui leur ôte leur grandeur. Les minarets, tout en conservant les dispositions anciennes, se sont amincis; et les proportions des dômes, si grandes soient-elles, se trouvent amoindries par la joliesse du tambour et le rabattement de ses angles ornemanés.

 
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