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leurs habitudes ne pouvaient se faire à ces édifices aux surfaces bossuées, recouvertes de saillies de sculpture, qu'ils rencontraient sur leurs pas, là où la civilisation gréco-romaine avait laissé de nombreuses traces. Ces statues, ces bas-reliefs, ces frises saillantes, dans lesquelles s'épanouissaient de larges rinceaux mêlés de figures d'animaux, devaient leur paraître des monstruosités dues à des imaginations égarées par le panthéisme.
 
 Admettons donc que l'école d'Alexandrie n'ait pas, avant l'invasion arabe, adopté un style de décoration se rapprochant de la tapisserie; il y a tout lieu d'admettre que les conquérants la mirent dans la nécessité d'adopter ce style, comme se rapprochant davantage de ce qu'ils avaient constamment sous les yeux et comme étant le seul que l'homme pût se permettre en face du Dieu unique, dont les œuvres ne devaient pas être imitées par la créature. " Fig. 124bis. - Tapisserie arabe du XIVème siècle.
 
Ce raisonnement n'a pas plus de fond que celui d'Owen Jones; une chose lui manque la connaissance, si rudimentaire fût-elle, de l'Orient. A l'époque de la conquête, l'Arabe n'avait pas " d'étoffes précieuses ", pas plus qu'il n'avait " d'armes de luxe ", et les formes de tel ou tel art lui étaient parfaitement indifférentes, pour cette excellente raison qu'il n'avait aucune esthétique à lui. Il demandait aux vaincus ses monuments, et pas besoin n'était à lui d'imposer à l'artiste pour condition d'éviter toute représentation animée; du jour où, délivré du joug mesquin de l'esprit hellénique, l'Orient était redevenu son maître, il y avait renoncé pour toujours. Et c'était bien l'école d'Alexandrie qui imposait son style à l'Arabe et non l'Arabe qui imposait le sien à l'école d'Alexandrie. Elle avait pris la tête de ce mouvement curieux qui devait aboutir forcément à la tapisserie (fig. 124 bis); où, selon l'expression de M. Müntz1
    

 

   
" la régularité et la symétrie l'emportent sur la recherche du mouvement; où l'on ne rencontre plus qu'animaux et fleurs traités dans un style conventionnel : inscriptions, motifs géométriques, griffons affrontés, léopards inscrits dans des cercles, aigles fixés sur leurs proies, alors toutefois que l'artiste ne s'est pas borné à parsemer le champ de sa tapisserie de rosaces ou d'entrelacs ". Seulement, dans ce style, la sculpture fournit ses modèles à la tapisserie et non la tapisserie à la pierre. L'étude des monuments coptes eût sans doute édifié Viollet-le-Duc : par malheur, l'illustre architecte les ignorait à ce point qu'il n'a pas hésité à écrire cette phrase que j'ai d'ailleurs déjà citée : " Il ne reste rien des monuments de l'Égypte du temps de l'école d'Alexandrie; les armées d'Omar détruisirent les monuments de la rive du Nil aussi bien que les bibliothèques. "

Non, encore une fois non, les armées d'Omar ne détruisirent pas les monuments coptes d'Égypte ; plus de cent églises ou couvents contemporains de l'époque de la conquête sont encore aujourd'hui reconnaissables. Les sculptures, les peintures, les boiseries, les étoffes, les bronzes, les ivoires et les verreries coptes suffiraient à former vingt musées; et l'analyse de ce style méconnu qui fut le style alexandrin permet d'affirmer hautement que le Copte fut le maître de l'école arabe et que celle-ci ne fit que s'emparer de ses thèmes constructifs et ornementaux, sans lui imposer l'esprit de ses dogmes et sans l'influencer en quoi que ce fût.

L'origine copte des tapisseries arabes est d'ailleurs généralement admise. Je n'ai donc pas à plaider cette cause davantage. Le musée des Gobelins renferme une collection de broderies et de tapisseries coptes des plus complètes;

 

1. Müntz, la Tapisserie (Bibliothèque de l'enseignement des Beaux-Arts, Quantin, éditeur).

 
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