Pages précédentes L'ART ARABE AL. GAYET PRÉFACE Pages suivantes
   Retour page Table des matières  
   
  

L'Égypte antique, qui avait donné à cet aïeul du Bédouin le nom caractéristique de Shâsou, nous a laissé de lui un portrait trop brutal pour n'avoir point chance d'être réaliste. C'est, ainsi que son nom l'indique, un pillard toujours en quête de butin, moitié brigand, moitié patriarche, paissant ses troupeaux sur la limite des terres cultivées, tout en guettant la proie que le hasard mettra à portée de sa main : aujourd'hui ici, demain ailleurs, toujours prêt à reprendre, dans le désert où son caprice l'aura poussé, le guet interrompu la veille et à y revivre l'existence errante dont jusque-là il a vécu.

De telles mœurs ne sont point faites pour favoriser l'éclosion du sentiment artistique ; car, même à supposer que ce Shâsou sans foi ni loi ait eu au cœur le moindre atome de ferveur religieuse, le dieu sans domicile fixe qu'il traînait derrière lui dans ses bagages, pauvre comme lui, ne pouvait être qu'une image grossière, fragment à peine dégrossi de bois ou de pierre, orné de quelques signes mystiques, reconnaissables aux seuls initiés.

Aussi, lorsqu'à l'apparition de l'Islam, les conquêtes des lieutenants du Prophète l'eurent poussé vers les villes, le voit-on du jour au lendemain devenir conspirateur de cour, transfuge d'armée ou plus modestement simple larron; il excelle à tramer des complots, à nouer des intrigues, à les dénouer par le poignard ou le poison, à s'enrichir par tous moyens; jamais il ne s'improvise artiste.

L'étude des formes et des couleurs le laisse indifférent, ou n'éveille en lui qu'une sensation diamétrale. ment opposée à celle que nous ressentirions à sa place; si opposée que lorsque les circonstances le forcent à se faire architecte, il ne fait qu'emprunter ses matériaux aux édifices grecs ou byzantins en transposant l'ordre dans lequel ils étaient réunis Est-ce une colonne de quelque vieux temple?

    

 

    Il la renverse le chapiteau à terre, la base à la place du chapiteau, en sorte que le fût présente son entasis vers le haut. Je cite cet exemple entre mille.

Pourquoi cette manière de voir si loin de la nôtre? Pour la pénétrer, il faudrait décomposer un à un les états par lesquels a passé l'âme arabe pour donner un corps au rêve qui un instant l'a traversée ; mais cette âme n'est plus celle de notre race. Obscure et sinueuse, elle échappe en partie à notre analyse et ses ressorts nous sont souvent cachés.

Cette inaptitude artistique du sémite, un historien musulman fort réputé, Ibn Khaldoun, est le premier à la reconnaître. " Quand, dit-il, un État se compose de Bédaouï (d'Arabes), il a besoin de gens d'un autre pays pour construire. " Et c'est ainsi que les khalifes employèrent à l'édification de leurs monuments les architectes et les ouvriers des peuples tour à tour conquis par eux. Coptes d'Égypte, Perses de Ctésiphon, Grecs de Byzance, Syriens ou Lybiens des côtes du Levant ou d'Afrique, tous apportèrent à l'œuvre dont ils furent chargés quelque chose des affinités propres à leur race. Est-ce même quelque chose qu'il faut dire? Les Coptes ne se gênèrent point pour bâtir la mosquée identique à leur propre église, et prépondérant devint dès la première heure leur rôle dans l'art musulman. A peine né, l'Islam se répand en Syrie et en Égypte. C'est là qu'il se constitue, là que jusqu'au dernier jour du khalifat est le centre de son mouvement. Religion orientale par excellence, il peut soumettre l'Asie jusqu'aux Indes, l'Afrique de l'est à l'ouest les principes dont l'une et l'autre s'inspirent dérives invariablement d'une source commune, l'école fondée au début au cœur de l'empire arabe.

Bien des fois, je le sais, il a été dit que l'art de l'Islam avait demandé ses procédés à la Perse sassanide. Cette opinion me paraît singulièrement aventurée.

 
Pages précédentes   Retour page Table des matières   Pages suivantes