|
L'Algérie n'est pas une terre quasi-vacante,
comme l'étaient, à l'origine, l'Australie, le Canada, la
Nouvelle-Zélande, et les États-Unis; elle ne peut donc, comme ces
dernières contrées, être simplement une colonie de peuplement,
servant de déversoir à l'exubérance de la population de l'Europe.
L'Algérie n'est pas davantage une terre
où tout le sol soit occupé et cultivé par une population dense,
de mœurs douces, comme les Indes ou l'île de Java, et ne peut
être, comme ces dernières, une pure colonie d'exploitation.
La colonisation de l'Algérie est sans
précédents et sans analogie dans l'histoire ou dans les temps
présents 1 », si l'on en excepte cependant la
colonisation romaine, sur le même sol et au milieu de populations
semblables ou à peu près.
« On ne trouve donc pas en Algérie de
vastes espaces vacants, sans propriétaires ou faciles à acquérir.
Toutes les terres y sont, sinon
occupées, du moins possédées à titre particulier ou collectif;
mal cultivées, il est vrai, mais cependant cultivées ou livrées
à la pâture de nombreux troupeaux errant d'une région à une
autre.
Au lieu d'une population insouciante et
molle, comme celle qui accueillit les Espagnols dans l'Amérique du
Sud, ou disséminée et inculte comme les tribus sauvages qui
parcouraient les solitudes de l'Amérique du Nord avant l'arrivée
des Anglais, nous avons affaire, en Algérie, à une race nombreuse,
fière, aguerrie, récalcitrante aux usages modernes, civilisée
toutefois de très vieille date et puisant dans son indomptable foi
aux préceptes du Coran assez d'orgueil pour mépriser
1
Paul-Leroy-Beaulieu, Revue des Deux-Mondes, 1882.
|
|
|
|
toutes les autres religions, assez de force pour accepter tous les
sacrifices, prête, si elle croit entendre la voix de son
prophète, à braver intrépidement la mort 1. »
Les premiers essais sérieux de colonisation remontent à une
trentaine d'années à peine, et lorsque l'on voit, sur la limite
méridionale du Tell, des villes européennes, en pleine
prospérité, telles que Bel Abbés, Tlemcen, Mascara, Saïda,
Aumale, Sétif, Batna, etc.; lorsque l'on admire les cultures de
leurs banlieues, les superbes villages de la Métidja, des plaines
du Chélif, du Sahel, et de la Seybouse; les routes que desservent
des services réguliers de diligences; les chemins de fer qui se
multiplient de tous côtés, non seulement on est obligé de rendre
un hommage mérité aux premiers pionniers français sur la terre
d'Afrique, mais on s'étonne des résultats considérables déjà
obtenus.
La question capitale au début de toute colonisation est le nombre
et la qualité des émigrants.
La population de la France, qui ne s'augmente qu'avec lenteur, n'a
guère de superflu à jeter dans ses colonies; le bien-être
toujours croissant des habitants des campagnes; la facilité avec
laquelle, en France, le travailleur peut devenir lui-même petit
propriétaire foncier; la liberté et la sécurité dont il jouit,
ne le prédisposent pas aux aventures de l'émigration; ceux qui
s'y exposent ne sont ni les plus raisonnables, ni les plus
courageux, et la pénurie de leurs ressources ne leur permet guère
de réussir.
Cependant on a vu, à la suite des désastres causés dans le midi
de la France par les ravages du phylloxéra, d'énergiques et
habiles
1 D'Haussonville, La Colonisation officielle en Algérie. |
|