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   on a eu souvent â regretter des lenteurs fâcheuses pour le payement des terres expropriées, des irrégularités, et, parfois même, des dénis de justice 1. Tant que la constitution de la propriété ne sera pas terminée, on éprouvera, d'ailleurs, les mêmes difficultés que dans le système de l'achat direct.

Parfois même, en raison des obscurités du droit de propriété, l'argent doit être déposé â la Caisse des dépôts et consignations, et l'indigène ne reçoit rien du tout pendant plusieurs années; il est alors réduit à travailler sa propre terre comme serviteur ou à la prendre en fermage.

Enfin, autre conséquence grave : l'Arabe exproprié, en échange de la terre qui lui suffisait pour vivre, reçoit une somme d'argent qu'il a vite dépensée, et devient un prolétaire dangereux.

Ces mesures, dont on ne peut méconnaître la gravité, indisposent la population indigène et la rendent accessible aux excitations de révolte 2. On ne peut donc procéder aux expropriations qu'avec une grande réserve, et les intérêts de la sécurité de l'Algérie, absolument solidaires du progrès de la colonisation, commandent de protéger l'Arabe contre des spoliations et des convoitises dangereuses.
Les chefs militaires se sont toujours dévoués à cette tâche généreuse; beaucoup, parmi les administrateurs civils qui les ont remplacés, bien que, par état, destinés

1 Procès-verbal de la session du Conseil supérieur, novembre 1882.

2 Si l'on dépossède ainsi les indigènes de toutes les terres de quelque valeur qu'ils détiennent, on créera en Algérie une Irlande avec ses haines sociales inexpiables, on compromettra l'avenir de la colonie, et il faudra y maintenir une occupation militaire coûteuse (Bulletin de la Société de Géographie de Bordeaux, décembre 1882).

    

 

   

à favoriser l'essor de la colonisation et la création de centres nouveaux de population européenne, montrent aussi les mêmes dispositions à défendre les intérêts de la population indigène, et cherchent à rendre moins dures les conséquences des expropriations.

Mais un fait capital semble dominer toute cette question : l'Algérie pourrait nourrir une population décuple; reconnaître à l'Arabe le droit absolu de ne pas être dépossédé de la terre dont il ne tire pas profit, serait entraver toute expansion européenne, et affirmer que l'Algérie ne serait qu'une colonie militaire d'une occupation non seulement stérile, mais onéreuse.

Telle n'est pas la loi supérieure qui régit le progrès des sociétés humaines. La terre est au plus digne, à celui qui la féconde.

Il y aurait exagération à admettre que la conquête a épuisé ses droits, d'autant plus que cette conquête n'est, en vérité, que la reprise de possession par la race européenne de terres dont elle a été jadis dépossédée par l'invasion dévastatrice des Arabes, et que ses anciens titres de propriété sont écrits en caractères irrécusables dans les nombreuses ruines romaines qui couvrent le pays.

Dans tous les cas, les cultivateurs européens ont droit de prendre place sur des terres dont l'étendue dépasse les besoins des cultivateurs indigènes; prétendre laisser la majeure partie du Tell en état de vaine pâture pour ne pas léser les droits hypothétiques des populations conquises, droits qu'elles ne se supposaient pas la plupart du temps et dont nous leur avons peut-être donné nous-mêmes la première notion, ce serait renoncer à tout progrès de civilisation, et la civilisation n'est-elle pas autorisée à repousser,

 
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