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ménage; puis viennent quelques bœufs ou vaches maigres, les chèvres, et la masse serrée des moutons, qu'entoure un nuage de poussière; les femmes, leurs enfants sur le dos, cheminent à pied; seules, les grandes dames du désert prennent place dans l'attatouch, le palanquin installé sur le chameau. Les hommes, le fusil au poing, sont en avant pour éclairer la route, ou en arrière pour la protéger; d'autres courent sur les flancs de la longue colonne, surveillant les bêtes, les empêchant de s'égarer ou d'être volées. Le soir, on arrête et l'on campe. La demeure du nomade, c'est la tente; un grand poteau et deux porches, quelques pieux fichés en terre, supportent ou assujettissent la grande pièce d'étoffe, formée de félidj cousus ensemble. Le félidj est une longue bande de laine et de poil de chameau que les femmes tissent dans les journées où l'on n'est pas en marche. La tente, si belle qu'elle soit, est un médiocre abri; elle défend mal ses habitants contre le soleil, la pluie, la neige; mais elle est portative et légère. Elle leur suffit et ils l'aiment; le nomade reposé mal sous un toit; il a horreur de nos maisons de pierre.

« Les nomades cultivent peu; l'élevage est leur grande affaire; le mouton leur donne de la viande; la chèvre, la vache, la chamelle leur fournissent du lait. Avec la laine ou le poil de ces animaux, ils ont la matière première de leurs vêtements et de leurs tentes. Le commerce leur est aussi de quelque secours; ils échangent les dattes récoltées dans les oasis du Sud contre les céréales du Tell; ils vendent pour l'exportation une partie de leurs troupeaux; ils n'achètent guère que des grains, quelques armes, et des bijoux pour leurs femmes. En somme, ils ont peu de besoins et savent presque toujours y suffire eux-mêmes. L'instinct nomade se retrouve chez les sédentaires du Tell; ils se meuvent dans un rayon moins étendu, mais ils se déplacent facilement. En été, la plupart habitent sous la tente; l'hiver, le froid les oblige à se fabriquer des gourbis; les murs sont en terre ou en sable grossièrement maçonnés; la toiture en diss ou en alfa; ni portes, ni fenêtres, ni cheminées; le sol n'est pas même battu. Avec ses tentes ou ses gourbis rangés

    

 

   

en cercle, à l'écart des routes et des chemins fréquentés, gardé contre les fauves et les intrus par ses chiens maigres toujours grondants, le douar a moins l'air d'un village que d'un campement 1. »

Les déplacements des tribus sont limités à une zone déterminée par certains droits traditionnels, et que l'autorité doit toujours préciser soigneusement si elle veut éviter entre elles des conflits à main armée. La prise de possession des terres du Tell a restreint les terres de parcours; mais lorsque les pâturages font défaut sur les plateaux, on doit cependant, sous peine de voir périr les troupeaux, leur assigner des campements dans l'intérieur. Les ressources de pâturages étant limitées, l'accroissement des troupeaux est limité dans une proportion correspondante.

Il y a une certaine grandeur chez le nomade. On le trouve généreux et hospitalier. L'hôte peut se confier à lui tant qu'il sera sous sa tente.

On a souvent accusé injustement l'Arabe de duplicité et de trahison ; on oublie qu'il est le vaincu d'hier, et que nous ne lui avons pas toujours donné nous-mêmes les meilleurs exemples de justice. Doué d'appréciables qualités de courage, le nomade a tous les instincts du fauve, jusqu'à sa cruauté. Silencieux, calme et grave d'ordinaire, il se transforme soudain lorsque la passion fait vibrer ses nerfs; dans l'éclair de ses yeux, dans la tension de tous ses traits excités par la colère ou par l'ardeur de la lutte, il y a encore une sauvage beauté. Dans son intrépidité, il vient sans armes se jeter jusque sur les baïonnettes, mais cette énergie extraordinaire ne saurait se

1 Colonel Philebert, L'occupation militaire de l'Algérie.

 
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