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   car, pour nous militaires, ils sont, en cas de révolte, la vraie pierre d'achoppement. Il faut alors courir partout, être partout à la fois sur la défensive; il faut alors subordonner nos opérations militaires à la nécessité de défendre chaque champ, chaque maison, et naturellement il y a grande dispersion de forces; la défense devient insuffisante et craque toujours sur quelque point. Trop souvent nous avons ce triste spectacle de fermes brûlées, pillées, de colons assassinés; ce sont pour les indigènes des succès si faciles!

« L'armée, que l'on occupe forcément à ces questions de détail, doit augmenter de nombre au prorata de ces établissements, et malheureusement c'est l'Algérie entière. Ce n'est pas là une mission militaire, mais une mission de police et de colonisation.

« Au lieu de disperser notre colonisation à tous les vents, au lieu de la lancer par petits paquets à tous les coins de l'Algérie, nous devons la grouper, la réunir en centres ayant une certaine importance.

« L'Algérie tout entière doit appartenir, comme champ d'exploitation, à nos commerçants, à nos industriels, qui ont le devoir et le droit d'en tirer tout le parti possible; mais, quant à l'agriculture et à la colonisation proprement dite, elles sont en pays ennemi; et comme toujours, en face de son ennemi, il faut se grouper, se réunir pour lui résister, pour n'avoir plus à craindre le vol, le pillage, et les idées de désordre innées chez les indigènes, et se réunir aussi afin de se soutenir par son travail commun, parce que, dans les centres, au milieu de populations plus serrées, la main-d'œuvre est plus abondante et moins chère; parce que, dans les centres, le commerce aide l'agriculture.

« Les révoltes des populations kabyles ou sédentaires n'ont pas une importance majeure, parce qu'elles se localisent, et que, par conséquent, on peut les atteindre à jour et à heure fixes. La plus sérieuse même, pelle de la Grande Kabylie, est facile à réprimer; la supériorité de nos armes nous donne un avantage tel dans cette guerre, qu'aujourd'hui 1500 hommes

    

 

   

suffisent pour traverser les montagnes dans tous les sens; à une condition, cependant, c'est qu'ils trouvent, sur tous les points d'appui, des réserves de munitions et des vivres.

« La possession du pays, certaine, sûre, facile, sans grande dépense et avec peu d'hommes, est là. En Kabylie, des postes aux points culminants, aux nœuds de route; il n'y a aucune utilité à ce qu'ils soient grands, coûteux à construire; il les faut simplement solides, bien armés, faciles à défendre et pourvus de magasins; il les faut reliés par des chemins praticables. Avec quelques postes ainsi établis et permettant, par conséquent, à des colonnes de 1500 combattants de circuler sans traîner à leur suite des milliers de mulets, nous pouvons être sûrs qu'aucune révolte ne durera longtemps.

« Il faut aussi des routes, et les tribus, dont on a à se plaindre, au lieu d'amendes insignifiantes qui ruinent une population déjà trop pauvre, doivent faire des routes on réunir les matériaux nécessaires pour la construction des postes.

« Les populations nomades sont celles dont les révoltes sont les plus fréquentes, et aussi, quoique généralement on croie le contraire, celles dont les révoltes sont les plus ruineuses et les plus difficiles à dompter. C'est chez elles que l'habitude est invétérée et que nous avons le moins de moyens de la faire perdre. Nous pouvons bien atteindre les gens dans leurs biens, à preuve les nombreuses razzias qui ont eu lieu lors de chaque révolte; mais, en vérité, ces gens-là ont pour leurs troupeaux une terrible indifférence, et ils les reconstituent avec une rapidité dont nous n'avons pas d'idée. En 1854, les Oulad Oum el-Akhoua, grands nomades du Sud, se révoltèrent; ils furent razziés à blanc par le commandant Pein et par le commandant du Barail. Après cette razzia, ils s'enfuirent à Tougourt et ne vinrent se soumettre que dans le courant de l'année 1855. Ils revinrent ne possédant rien; trois ou quatre mois après, ils étaient plus riches qu'au moment de leur départ; la statistique constatait 48,000 moutons (ils n'en avaient que 45,000 au départ) et 1800 chameaux. Les voisins les avaient largement indemnisés des pertes que l'infidèle leur avait fait subir.

 
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