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« Si le Kabyle a la tête dure comme du
fer, aime la bataille, le nomade, lui, comme l'étourneau, aime à
se mettre en fugue. Il y a pour lui une jouissance ineffable à se
disperser dans le Sahara et à vivre à sa guise, c'est-à-dire à
voler et à marauder. En 1868, nous avons vu les Oulad Nayl,
enrichis par notre domination, regorgeant de bestiaux, d'argent, et
de grains par la culture des terrains jadis incultes et rendus
fertiles par des barrages que nous leur avions construits et dont
ils appréciaient toute l'importance, nous les avons vus abandonner
tous ces biens pour une fugue de quelques jours à peine, avec la
conviction, au moment du départ, qu'il leur faudrait, à bref
délai, être razziés, faire soumission, et payer l'amende.
« En réalité, il n'y a pas de tribu
qui puisse rester longtemps dans cet état. Il faut toujours qu'elle
nous revienne. Le Tell est le père nourricier, et, dans le Sahara,
quand le printemps est fini, il n'y a pas de moyens d'existence. On
y va un instant, mais il faut en revenir. Inutile donc de lancer nos
colonnes lourdement chargées à travers cet immense pays. Toute
tribu qui a commis un méfait doit être châtiée, c'est certain;
il n'y a pas de population avec laquelle il soit plus indispensable
que toute faute ait sa punition, mais il n'est pas nécessaire de
faire des centaines de lieues à la suite du coupable. Il faut
simplement l'attendre au retour. Il reviendra, soyez-en sûr, et
promptement, chercher sa punition. Il suffira alors de lui dire : «
Nos marchés vous sont fermés, vous n'achèterez rien avant d'avoir
fait amende honorable. »
Les lourdes colonnes, encombrées de
convois, sont, pour la plupart du temps, incapables d'atteindre un
ennemi aussi mobile; puis, on ne sait comment abreuver une si grande
quantité d'hommes et d'animaux; il arrive forcément qu'au bout de
quelque temps, elles sont échelonnées le long des chemins pour
garder les magasins, et l'on arrive à n'avoir que quelques
cavaliers quand on aborde l'ennemi. « Laissons ce funeste système
et revenons au bon vieux temps; où le commandant du Barail, le
commandant Pein, de glorieuse mé
moire,
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et autres, soumettaient le Sahara, le parcouraient, et y faisaient
la loi avec 250 à 300 baïonnettes. S'ils l'ont fait, nous pouvons
le faire, d'autant plus qu'ils n'avaient pas l'armement
perfectionné d'aujourd'hui, qui multiplie notre force au moins par
10. Mais cela est même inutile. Pour dominer ce pays, il suffit de
punir les délinquants, et c'est de Teniet, Boghar, Tiaret, de tous
ces postes de seconde ligne où finit le Tell et où commence le
nomade, que l'on doit punir. C'est là que de petites colonnes
mobiles doivent être toujours prêtes dans la main d'officiers
capables et munis de pouvoirs suffisants pour agir.
« Une objection sera faite, sans aucun doute, car le système que
nous indiquons, s'il suffit aux nécessités du commandement en
tant que domination, ne suffit pas aux besoins de l'administration
telle qu'elle a été comprise depuis quelques années. C'est un
grave tort que nous avons eu de vouloir administrer en détail ces
populations; nous y sommes impuissants et nous le serons toujours.
Pour courir après ces vains essais d'administration, nous ne les
avons plus commandées, nous nous sommes novés dans de vains
détails. Nous nous sommes enquis de leurs noyés individuels, de
leur justice, de leurs mariages, de leur état civil, de leurs
impôts; nous avons voulu compter leurs enfants, perfectionner
leurs moyens de culture, améliorer leurs troupeaux; leur faire
adopter des cultures inconnues, des écoles nouvelles; tout
l'ensemble de nos lois et de nos mœurs, jusqu'aux procès-verbaux
pour délits de chasse !
« Et pour tout cela, au milieu de populations de 50 à 60,000
âmes changeant de place tous les jours, un, deux, trois officiers,
dont généralement deux au début de leur carrière. Et encore ces
malheureux officiers doivent faire toutes sortes de statistiques et
entretenir avec le chef-lieu de la province une correspondance sous
laquelle succomberait le préfet le mieux organisé. Ils finissent,
eux aussi, par ne plus sortir de leurs bureaux; assis devant une
table, ils font des chiffres et des écritures, et finissent, dans
l'impossibilité de savoir tout ce qu'on leur demande, par se
créer un petit monde factice qui |
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