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confiées. Ce rôle subalterne n'était pas le but de M. le commissaire du roi ; il se proposa de l'ennoblir.

Le 27 mars, jour fixé pour l'entrevue, profitant en effet d'une permission légale de M. le colonel Duvivier, Médani se dirige en bateau vers le rivage, de l'autre côté de la Summam, où fut bientôt aperçu un groupe considérable de Kabaïles à cheval. Tous les regards et les lunettes étaient tournés sur cette rive dominée au loin par la place. La surprise et la curiosité redoublèrent, quand parut bientôt une deuxième embarcation portant le pavillon national, où reluisaient quelques fusils, et montée par M. le commissaire du roi, en personne. C'est de l'aveu du commandant supérieur, se demandait-on ? car les lois s'expriment avec la dernière rigueur contre quiconque communique avec l'ennemi sans un ordre écrit de l'autorité militaire.

Quelques mots sont échangés en langue dite franque, espèce d'espagnol corrompu, entre Oulid-ou-Rabah, car c'était bien lui, et le commissaire du roi, et le cadeau d'une lunette d'approche est fait par celui-ci, avec un à-propos que le lecteur appréciera. Quelques hommes du littoral de la tribu Beni-Mimoun, la première, avons-nous dit, en voie d'alliance avec nous, étant survenus pour s'assurer de ce qu'il y avait à craindre ou à espérer de cette nouvelle négociation avec Oulid-ou-Rabah, leur ennemi, ce dernier avait donné aux siens le signal de l'attaque, sans plus s'inquiéter du négociateur français. Celui-ci, du reste, avait exécuté déjà une prudente retraite, se jetant précipitamment à l'eau pour rejoindre plus vite son bateau et gagner au large. Le résultat du combat fut nul, d'autres prétendent trois têtes coupées et quatre prisonniers. Les premières furent offertes en hommage, mais de loin, à M. le commissaire du roi, lequel, quoique des amis indulgents ou des protecteurs chauds mal informés aient pu dire avec plus ou moins d'éclat, se soucia peu d'aller en accepter la propriété en rapprochant les distances.
 

    

 

   
Cependant le colonel Duvivier, encore étranger à tout ce qui se passait, mais se rappelant toute l'autorité que les règlements militaires remettaient entre ses mains dans l'espèce, donna l'ordre au bâtiment stationnaire de faire courir sur les embarcations et de retenir à bord toutes les personnes qu'elles portaient jusqu'à plus ample connaissance des faits. Deux partis se présentaient alors : considérer comme une légèreté, une inconséquence, l'acte récent de M. le commissaire du roi, recevoir ses raisons et les transmettre au gouverneur ; ou bien se regardant comme seul investi du pouvoir de conférer avec l'ennemi, et le code pénal, et les lois militaires à la main, s'armer de toute leur rigueur contre un employé à la suite de l'armée, ou un individu quelconque qui, communiquant sans ordre écrit de l'autorité supérieure avec l'ennemi, se rend dès lors justiciable d'un conseil de guerre. M. Duvivier se borna au premier parti. Après avoir retenu M. Lowasi jusqu'à dix heures du soir, il le laissa libre ; il lui permit même d'aller en personne à Alger le surlendemain, produire ses raisons. En général, M. Duvivier. étranger encore au vrai motif secret des démarches de M. le commissaire du roi, qui, du reste, sut le cacher très-habilement à cette première époque, mit la meilleure bonne foi dans celte affaire. Il résista, même avec beaucoup de modération, aux principes opposés que manifestait ouvertement la garnison de Bougie, et laissa à M. Lowasi, se rendant à Alger, l'avantage de donner à son récit la tournure la plus favorable de sa cause, et l'occasion de flatter le gouverneur de l'espoir d'une négociation.

Le colonel Duvivier rendait cependant compte à celui-ci de la conduite inexplicable de M. le commissaire du roi. II ajoutait un fait plus récent et de haute importance : c'est que le farouche Oulid-ou-Rabah, jugeant sa vengeance contre les Beni-Mimoun incomplète, s'était précipité le lendemain en force sur cette tribu rivale, et avait brûlé ses villages. Le colonel exigeait la manifestation non équivoque d'un blâme à l'égard du commissaire du roi, sinon son propre rappel immédiat.

 
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