|
pendant son commandement
supérieur. Cela devait mal le rassurer sur sa fortune
militaire future. Il n'ignorait pas même que le choix qu'on
avait fait de lui pour son nouveau poste à Bougie, n'était
dû qu'à ses instantes démarches à faire va loir ses
titres, son ancienneté, ce qu'il appelait ses droits, son
bataillon étant en effet la seule troupe d'infanterie
attachée à la place.
Dans sa préoccupation de détruire les préventions,
réchauffer le zèle de ses protecteurs, entraîner le
suffrage de l'autorité militaire supérieure d'Alger et du
ministre, il était incomplètement rassuré sur le
compte-rendu des opérations du mois de juin précédent, bien
dirigées cependant et brillantes pour la garnison. Il voulut
se signaler par un service plus relevé, plus éclatant ; il
essaya de la diplomatie avec les Kabaïles. Il exhuma avec
apparat ses entrevues tant discréditées depuis un an des
Oulid-ou-Rabah, non sans escorte de prévenances et de
cadeaux. Quoique spectateur, depuis 18 mois, de ridicules
mécomptes sur cette matière, les ayant reconnus, en ayant ri
le premier, ainsi que des largesses de certains de ses
prédécesseurs, lui-même cédait complètement à cette
manie. Enfin, il avait mis des chefs Kabaïles sur le pied de
lui écrire dans les termes que voici : " Flamar-Bélir
au commandant-supérieur de Bougie. - Je vous écris pour que
vous sachiez que pour la paix et le commerce, je vous avais
demandé du calicot, plusieurs pains de sucre, et vous ne
m'avez rien envoyé. Si vous m'envoyez tout ce que je
réclame, j'aurai quelque chose à vous dire. Si, au
contraire, vous ne m'envoyez rien, vous êtes chez vous et moi
je suis chez moi. Tous les scheiks de la tribu sont venus vers
moi pour me demander les cadeaux que je vous avais prié de
m'envoyer. Salut . "
Quel était le second acteur du drame dont il s'agit ? Ce
même Mohammed-Amzian, frère du défunt Oulid-ou-Rabah,
n'ayant ni la connaissance des affaires, ni le crédit, je
n'ose dire la loyauté de son frère. Les traits de cet homme
sont farouches, ses manières ignobles. Il n'est pas dépourvu
d'une grossière
|
|
|
|
|
finesse ; mais ce qu'il est surtout, c'est
fourbe et méfiant. Le vol, le brigandage, servent à ce chef kabaïle de
passe-temps, même parmi les siens, et il n'est pas moins
craint que mésestimé. Descendant d'une famille de prétendus
marabouts, espèce de marabout lui-même, ce caractère devait
lui inspirer une haine sauvage contre les Français, et
quelques idées obscures de nationalité, fort altérées du
reste par l'appât des cadeaux et de l'argent. M. Salomon
l'avait entendu se plaindre ; avec assez d'amertume, de la
mort du marabout tué le 6 juin, le quel, suivant Amzian,
était un personnage de haute distinction ; son ami, son
hôte, son naya ; et ces reproches dans la bouche d'un
Kabaïle, pour celui qui connaît le fanatisme de l'union chez
certains peuples non civilisés, n'étaient point sans une
grande portée. M. Salomon n'ignorait pas non plus que le bey
de Constantine, menacé dans sa puissance depuis la nomination
du commandant Yussuf-Mameluck à ce titre, toute prématurée
qu'était celle-ci, caressait les Kabaïles, et pour les
rattacher à sa cause, annonçait un grand effort de la Porte
dans le but prétendu de délivrer l'Afrique de la présence
des Français. Ce bey reconnut Amzian comme scheik Sâad au
décès de son frère, et lui envoya une espèce d'investiture
et des cadeaux. Celui devait donc guetter l'occasion de
témoigner sa reconnaissance à sa manière par quelque acte
d'éclat. Enfin, Amzian avait brutalement souri quand M.
Salomon lui reprocha, dans une première entrevue, le 18 juin
1836, ses tentatives du 22 mai précédent contre nos bœufs,
pendant une espèce de trêve ; et le premier ne semblait
regretter que la non réussite.
Après cette entrevue du 18 juin, où des cadeaux avaient
été largement distribués, Amzian, comme preuve de sa
prétendue sincérité, ou plutôt pour endormir la
prévoyance et pousser plus sûrement à exécution son
infâme projet, avait fait envoyer par son neveu, le jeune
scheik, fils du défunt Rabah, quatorze bœufs à Bougie.
Malgré cette démarche pacifique du scheik Sâad, le
commandant Salomon n'était pas encore sa dupe ; car il le
signalait comme un fourbe renforcé au lieutenant-général,
gouverneur par intérim, dans un rapport officiel du 31
juillet.
|
|
|