|
Et cependant le 16 juillet, le commandant Salomon
demande à cet homme une nouvelle entrevue.
Voici la lettre. " Je te fais savoir pour le bien, si
Dieu le veut, que je désire te voir et te parler lundi à
quatre heures du soir, sur les bords de la mer, à la petite
rivière. Amène ton frère (ou neveu) Ou-Rabah, et nous
ferons des choses agréables à tout le monde, si Dieu le
veut. "
Cette démarche imprudente, fatale, était encore une faute
politique. D'un côté elle augmentait, dans l'esprit d'Amzian,
l'influence qu'il n'avait pas ; de l'autre, elle lui
fournissait le moyen de mûrir et d'arrêter un infernal
projet, sûr que l'occasion de le conduire à terme ne pouvait
pas lui manquer. Il prend quinze jours pour y réfléchir. Il
se rend chez les Beni-Abbés, ou plutôt chez les Fenaïa,
pour sonder leurs dispositions. Sa conduite et ses rapports
avec les Français sont désavoués. On le menace de retirer
les mezrag ; on les retire peut-être.
Les Mezaya continuent de se montrer hostiles, malgré les
gages qu'il leur a offerts et la part qu'il leur a faite dans
le pillage d'Abder-Rachman. Il se regarde donc comme menacé,
attaqué, perdu. La peur ne le domine pas seulement ; le
fanatisme travaille, grossit à ses yeux le ridicule, la honte
d'avoir laissé impunie la mort de son ami le marabout, son naya
; il écoute avec amertume et dépit les reproches que lui
adressent les scheiks, non sans intention ; car ceux-ci ont un
plan bien arrêté aussi : c'est par un grand éclat, par un
grief irrémissible aux yeux des Français, de faire fermer
aux gens des tribus les portes de Bougie, afin de laisser
cette ville isolée, sans arrivages ni communications du
côté de terre, et de dégoûter ainsi les Français de cette
possession. Amzian sera leur instrument ; il offrira une
garantie sûre à la coalition, un cadeau à la fois digne de
celui qui l'offre et de celui qui le reçoit, au bey de
Constantine. Il satisfera à la sauvage condition de l'union
chez les Kabaïles, il tuera le commandant-supérieur de
Bougie. Il recula cependant devant les dangers et les
difficultés de l'exécution. Il veut en outre compromettre
son neveu, dont l'autorité naissante le
|
|
|
|
|
blesse, qui est mieux
vu que lui des scheiks ses rivaux, annonce quelques dispositions pour se
rapprocher de nous, par conséquent fait craindre qu'il ne
soit appelé au partage de notre confiance et de nos cadeaux.
Il lui fait peur des tribus en lui disant qu'il est cause de
tout le mal, parce qu'il a amené quatorze bœufs à Bougie en
plein jour, et qu'il s'agit d'expier cette faute en tuant le
commandant-supérieur. Le jeune scheik s'épouvante à l'idée
d'un tel acte ; il est malade, et son caractère n'est pas à
la hauteur d'une telle entre prise ; il n'accepte point. Rendu
à son premier projet, Amzian s'en chargera seul. Dans un
premier plan, il avait proposé de tuer seulement le kaïd.
Cette garantie à la coalition ne lui paraissant pas
suffisante, c'est l'assassinat du commandant-supérieur et de
l'interprète qui, décidément, est résolu.
Un tromblon, ou fusil court à bouche égueulée, reçoit
dix balles. Le porteur, au signal donné, le déchargera par
derrière sur le commandant-supérieur. Un deuxième canon en
reçoit huit ; il terrassera l'interprète Tapoui. Les autres
armes sont chargées à l'ordinaire. Les cavaliers, au nombre
de vingt-deux, dont trois Fenaïa, appelés pour assister au
meurtre, y participer, et en quelque sorte en prendre acte,
doivent entourer et faire feu à la fois. Le cas du nombre et
de l'escorte à combattre ne donne aucun souci. On se gardera
d'avoir affaire à elle ; la question n'est pas de livrer un
combat incertain, mais d'attaquer et de laisser sur place
trois hommes. Amzian écrit donc la lettre étendue et
froidement insidieuse que voici ; cachant avec adresse ses
projets ultérieurs sous une apparence de bonhomie, il y
ajoute des récits secondaires, intéressés cependant, mais
écartant tout soupçon de trahison, même de fausseté :
" Le scheik fait des compliments au nouveau colonel de
Bougie, et des compliments à notre fils Medani. Je fais
savoir ce qui suit pour le bien, si Dieu le veut.
J'ai reçu votre lettre. J'ai compris tout ce qu'elle
contient. Vous me dites que nous aurons une entrevue ensemble,
dans laquelle
|
|
|