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La position, toutefois, n'était pas rassurante ; quelques feux étaient aperçus du côté de la Summam ; la cause en sera déduite plus bas. Un crime si atrocement éclatant supposait un but, un haut intérêt ; celui, par exemple, d'une attaque soudaine de Bougie que les Kabyles pouvaient croire sans chefs, découragée ; et cette attaque, suivant toute probabilité, devait être complète, sans aucune dissidence. La garnison était, il est vrai, excellente, habituée au succès, ne craignant pas les Kabyles, et puisant dans sa colère et soit, indignation à la suite de l'attentat de la journée, de nouveaux éléments de force et de courage. Mais ce sentiment même pouvait trop préoccuper, égarer ; d'ailleurs, cette garnison était réduite de 480 hommes, chiffre, en ce moment, de l'hôpital. Le lendemain, jour des obsèques, et les suivants, pouvaient devenir encore des occasions de perturbation ; la mesure prise contre les trente-neuf Arabes était insolite. En définitive, la circonstance était grave, la situation anormale ; il fallait la régulariser au plus tôt. Un petit bâtiment espagnol, la Virgen del Carmen, était en rade, encore chargé de marchandises ; on le nolisa non sans peine et sans quelque retard. Des corvées durent même travailler une partie de la nuit à débarquer les objets. A cinq heures du matin, le bâtiment cinglait sur Alger, portant les dépêches pour le lieutenant-général Rapatel, gouverneur par intérim, confiées à l'adjudant Trotchet, du 10e d'artillerie. On a su plus tard que ce sous-officier avait fait une heureuse navigation, en quarante-huit heures ; cependant le 5, au matin, les lignes aux avant-postes, très-calmes depuis les événements de juin, l'étaient aussi, et tout dans la journée se passa à l'ordinaire. Celle-ci fut employée à disposer les obsèques des deux malheureuses victimes de la veille ; on arrêta que leurs restes seraient déposés au camp supérieur, occupé par le 2e bataillon d'Afrique, au pied d'une esplanade formant un lieu apparent dans l'axe du camp ; et un monument funéraire fut voté par acclamations. Le calme de la journée permit de tout arranger avec une pompe décente. La cérémonie ne fut interrompue par rien d'étranger à son but, et la garnison ne montra que le douloureux recueillement que comportait la circonstance. Un tribut fut payé par le nouveau commandant-supérieur à son 
    

 

   
ancien frère d'armes de Bougie, depuis deux ans. Les dernières paroles du discours furent comprises, et le mot " vengeances de l'attentat, sur les lâches Kabyles qui viendraient se livrer à nos coups sous les murs de Bougie, " fut accueilli par un cri unanime.

L'occasion ne se présentait pas encore, et la journée du samedi, 6 août, ressembla à celle de la veille. Le commandant Lapène reçu des renseignements très-positifs le lendemain, dimanche 7 ; la marche des assassins avait été suivie pas à pas, le 4, au soir, la rivière du Bou-Messaoud (Summam) franchie, les meurtriers, comme épouvantés de leur crime, avaient semé l'alarme dans la tribu de ce nom et annoncé l'arrivée des Français. Les Kabaïles de la Summam avaient donc bivouaqué sur la rive droite, toute la nuit ; voilà l'explication des feux que nous avions aperçus. Amzian et ses cavaliers y couchèrent ; le 5, à dix heures du matin, ils se rendaient, encore ensemble, au village des Smella, limite du Messaoud et d'Oulid-ou Rabah. Ils y firent fête, et l'infâme Amzian y parut triomphant, montant le cheval de sa victime. Ce lâche assassin se vantait avec emphase d'avoir tué trois chefs ; c'est alors qu'il dit que les regards inquiets et l'avis soupçonneux du commandant sur les résultats éventuels de la conférence, l'engagèrent à donner sans délai le signal de faire feu au cavalier qui devait terrasser M. Salomon d'un coup de tromblon.

Des nouvelles d'Alger étaient attendues avec la plus grande impatience, et les jours et les heures se comptaient. Déjà les délais ordinaires égaient passés ; on avait atteint le mardi 9. Un bateau à vapeur est enfin signalé, ce même jour, à midi. A deux heures, il arrivait au mouillage ; c'était le Fulton, chargé exclusivement pour Bougie et remorquant une tartane qui portait cinq compagnies du 2e bataillon du 11e de ligne. La mission remplie, les bâtiments devaient repartir le même jour pour Alger, emportant soixante malades. Le lieutenant général déplorait vivement l'affreuse catastrophe qui avait ravi à la garnison de Bougie et à l'armée, un officier de mérite et de dévouement.

 
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