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Ces régions de montagnes embrassent à peu près la moitié du territoire algérien; elles sont presque toutes habitées par des Kabyles, race ou agglomération de races entièrement distincte des Arabes. Les différentes Kabylies n'ont entr'elles aucun lien politique : chacune même ne constitue qu'une sorte de fédération nominale où figurent, comme autant d'unités indépendantes, des tribus riches ou pauvres, faibles ou puissantes, religieuses ou guerrières, et subdivisées à leur tour en fractions, en villages également libres.

Quoiqu'il existe entr'elles une frappante analogie de mœurs, d'origine et d'histoire, la disjonction des faits impose la nécessité de les considérer séparément. Autant de Kabylies, autant de pages détachées : il y aura celle des Traras, de l'Ouarensenis, du Dahra, du petit Atlas, du Jurjura et beaucoup d'autres.

C'est la dernière nommée que nous nous proposons d'écrire; l'histoire de la Kabylie du Jurjura, que beaucoup d'écrivains nomment exclusivement la Kabylie, et que nous appellerons, nous, eu égard à son importance relative, la GRANDE KABYLIE.

Cette région embrasse toute la superficie du vaste quadrilatère compris entre Dellys, Aumale, Sétif et Bougie. Limites fictives, en ce sens qu'elles ne résultent point de la configuration géographique, limites rationnelles au point de vue de la politique et de l'histoire.

Plus qu'aucune autre Kabylie, celle qui va nous occuper a fixé l'attention publique en France. Diverses causes y contribuèrent. Son étendue, sa richesse, sa population; son voisinage d'Alger, source de quelques relations commerciales; sa vieille renommée d'indépendance et celle d'inaccessibilité faite aux grandes montagnes qui la couvrent ; enfin, depuis ces dernières années, un très-grand partage d'avis sur la politique à suivre envers elle.

    

 

   
Des évènements considérables viennent de trancher cette dernière question; ils ont fait jaillir en même temps des lumières nouvelles qui en éclairent toutes les faces : n'est-ce pas le moment de jeter un double coup d'œil sur l'avenir et sur le passé? Faisons comme ces voyageurs qui ont marché toute la nuit dans des défilés difficiles; au point du jour ils s'arrêtent, ils voient. La route qui leur reste à suivre se dessine claire et sûre devant eux; et, s'ils regardent en arrière, ils ne peuvent contenir un saisissement mêlé de satisfaction, en comptant les obstacles de celle qu'ils ont parcourue dans les ténèbres.
 

II

 
On ne s'accorde point sur l'étymologie du mot Kabyle. Des érudits lui assignent une origine phénicienne. Baal est un nom générique de divinités syriennes, et K, dans la langue hébraïque, sert à lier les deux termes d'une comparaison (k-Baal, comme les adorateurs de Baal). A l'appui de cette hypothèse, qui déterminerait aussi le berceau primitif des Kabyles, on cite des analogies de noms propres : Philistins et Flittas ou Flissas ; Moabites et Beni-Mezzab (1) ou Mozabites ; quelques autres encore.

Nous rejetons cette étymologie, parce qu'il lui manque la consécration des écrivains de l'antiquité. Dans Hérodote seulement, on trouve le nom Kbal appliqué à quelques tribus de la Cyrénaïque, mais on ne le rencontre nulle autre part ; aucune trace n'en existe chez les nombreux auteurs de l'époque romaine, historiens ou géographes, qui ont laissé tant de documents sur les Mauritanies.

Les montagnards de l'Afrique septentrionale ne commencent réellement à être appelés Kabyles qu'après l'invasion des Arabes;

 

(1) Beni, c'est-à-dire, enfants. Beni-Mezzab : les enfants de Mezzab.

 
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