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Loin de reprendre, sous le gouvernement des pachas, son ancienne splendeur, Bougie déclina de plus en plus, se dépeupla, se couvrit de ruines. Trois compagnies turques de l'Oudjak y exerçaient un pouvoir despotique et inintelligent. Par leur état de guerre continuel avec les tribus de la montagne, elles anéantirent le commerce de la ville et ne lui laissèrent pour ressource que les chances aléatoires de la piraterie.

Ce port fut en effet signalé à l'attention spéciale des croisières françaises pendant le règne de Louis XIV.

La grande Kabylie, qui ne s'était jamais liée beaucoup aux destinées de sa capitale, en resta séparée complètement depuis la conquête espagnole. Elle donna longtemps asile et prêta son concours à l'ancienne famille régnante, dans toutes ses entreprises de restauration. Enfin, le vœu d'une nationalité distincte éclata encore dans quelques tentatives assez obscures qui semblent remonter à cette époque.

Plusieurs personnages influens s'efforcèrent, à diverses reprises, de reconstituer un royaume kabyle et d'en placer la capitale en quelque point de l'intérieur. Ce fut ainsi que Sidi-Ahmed-Amokhrane, ancêtre des khalifas actuels de la Medjana, releva ou bâtit, il y a quatre siècles, la ville de Kuelâa, l'arma de plusieurs canons venus des Chrétiens, on ne sait trop comment ; enfin joua, dans ce district, le rôle d'un véritable souverain.

Un nommé Bel-Kadi fit en tout point la même chose à Diemâat-Sahridje, petite ville qui subsiste encore.

Sous une influence pareille, Koukou vit quelques habitations se relever au milieu de son enceinte romaine ; il en reste à peu près cinquante aujourd'hui.

    

 

   
L'avortement de tous ces essais d'unité servit bien la cause des Turcs. Ils s'emparèrent de Djemâa-Saridje ; Kuelàa, fatiguée de ses petits sultans, se rangea volontairement sous leur pouvoir.

Mais ni ces points d'appui, ni la sanction morale que leur prêtait l'autorité religieuse du sultan de Constantinople ne réussirent à fonder leur domination sur une base solide. Ils y ajoutèrent des forts sans plus de résultat, n'ayant pu les porter assez loin dans le pays kabyle.

Les plus avancés qui restassent, en 1830, étaient : sur le versant septentrional, Borj-Sebaou et Bordj-Tiziouzou ; sur le versant méridional, Bordj-el-Boghni ; et Bordj-Bouira, dans le district de Hamza. Ce dernier, du reste, marquait une double retraite: deux forts plus éloignés avaient été successivement détruits par les gens de la montagne. Bien plus, sous le règne d'Omar-pacha, une petite armée turque, envoyée pour réduire les Ben-Abbas, n'avait réussi à brûler quelques-uns de leurs villages qu'en essuyant des pertes écrasantes suivies d'une véritable défaite.

En somme, les Turcs n'exercèrent jamais d'autorité durable, ne prélevèrent d'impôts proprement dits, que sur quelques fractions kabyles des pentes inférieures, obligées de cultiver en plaine, et, par conséquent, saisissables dans leurs personnes ou dans leurs biens. Mais celles-là se trouvaient en butte aux mépris des tribus voisines, pour avoir préféré le déshonneur à la mort. Il n'était sorte d'avanies dont on ne les abreuvât.

La plus commune consistait à s'emparer de quelqu'un des leurs : on l'affublait d'un vêtement complet de vieille femme; on lui faisait un collier avec les intestins d'un animal, et on le promenait ainsi dans les marchés, au milieu des huées générales. Cet usage est encore en vigueur.

 
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