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retiendront là quelques jours ;
selon toute apparence aussi, des contingents kabyles, attirés
par l'appât du pillage, viendront rejoindre les vainqueurs et
aggraver la situation.
Ces remarques inspirent au général une entreprise
vigoureuse. Laissant un bataillon et un obusier à la garde du
col des Beni-Aïcha, il se met en route, à minuit, avec ses
deux autres bataillons, sa seconde pièce et son escadron de
cavalerie, dans l'espoir de surprendre le camp arabe. Un
indigène, méritant toute confiance, guidait cette marche
périlleuse. Quoique la nuit fût sombre, l'émotion des chefs
était vivement ex citée. Si près de l'ennemi, tant de
circonstances fortuites auraient pu trahir notre approche.
L'aboiement d'un de ces chiens de troupe qui suivent toujours
les colonnes, le hennissement d'un cheval, le bruit ou la
lumière d'un briquet battu par quelque homme inintelligent,
il n'en fallait pas davantage pour donner l'éveil à un poste
; alors, non seulement une opération décisive était
manquée, mais la petite troupe se trouvait peut-être
compromise dangereusement. Un échec éprouvé par elle
ouvrait la Mitidja, où la seule apparition de l'émir, après
six années d'expulsion, eût long temps fait peser sur
l'état de notre conquête les doutes les plus
préjudiciables.
Aucun accident n'arriva, ou plutôt l'ennemi confiant dans
la faiblesse numérique de notre corps d'observation, se
gardait avec négligence.
A cinq heures du matin, notre colonne inaperçue, touchait
au camp de l'ennemi. Les feux du bivouac s'y rallumaient de
toutes parts ; le muezzin (1) commandait la prière aux
fidèles. A l'agitation qui régnait, on se crut d'abord
signalé, mais il n'en était rien. Les premiers cris d'alarme
surgirent seulement lorsque nos
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(1) Le muezzin est l'homme qui
psalmodie des versets du Koran afin d'appeler à la prière.
Il tient lieu de nos cloches d'églises. Dans les mosquées,
il monte, pour chanter, en haut du minaret.
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compagnies de tête de colonne,
guidées par le commandant Neygre, envahirent le camp au pas
de charge, et tombèrent à la baïonnette sur les Arabes,
dont on ne saurait décrire quelles furent alors l'épouvante
et la confusion. Tout courut, tout se mêla, tout s'enfuit en
tourbillonnant. On n'avait pas traversé le camp, qu'il était
déjà vide, à part une centaine de cadavres. Mais il restait
entre nos mains 300 chevaux, poulains ou juments, 600 fusils,
presque tout le bétail pris aux Issers, des selles, des
drapeaux, des armes de toute sorte, des harnachements que leur
richesse signalait pour appartenir à des chefs de
distinction, enfin, dans une tente, des lettres portant le
cachet de l'émir et d'autres à son adresse, venant de
l'empereur du Maroc. Ce furent là les premiers indices qu'on
eut de la présence d'Abd-el-Kader dans le camp de
Cherrak-el-Teboul.
Bientôt la vérité fut mieux connue. On apprit les faits
antérieurs et des détails actuels plus circonstanciés. On
sut que les chevaux de l'émir et ceux de son khalifa.
Ben-Salem avaient péri, que l'émir lui-même avait eu ses
vêtements traversés de plusieurs balles, et que son autre
khalifa, celui de la Medjana, Sid Ahmed-ben-Ameur, avait été
tué.
Trop habile pour se dissimuler la gravité d'un tel échec,
Abd-el-Kader renonça de suite à l'exécution de ses projets
sur la Mitidja. La Grande Kabylie, en effet, ne lui eût plus
offert une ligne de retraite. La masse des tribus y flottait
indécise entre les deux partis ; mais résolue surtout à ne
se point compromettre, elle semblait attendre un résultat
pour embrasser la cause du vainqueur.
On s'expliquera cette attitude par l'extrême âpreté des
Kabyles en fait d'intérêts matériels, par leur médiocre
élan vers la guerre sainte, par leur aversion presque égale
contre les chrétiens et contre les Arabes. En apprenant la
razzia des lssers, ils avaient penché vers l'émir ; la prise
de son camp les tourna contre lui,
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