Pages précédentes LA GRANDE KABYLIE   CHAPITRE DIXIÈME Pages suivantes
  Retour page Table des matières
   
  
sacs les attaquent sur la droite et sur la gauche, les délogent de plusieurs positions, les obligent à défiler en masse dans un ravin où ils sont fusillés de très-près et perdent beaucoup de monde ; mais il est tout-à-fait impossible d'atteindre la colonne d'Abd-el-Kader.

Le lendemain, les chefs de toutes les tribus environnantes venaient à notre camp ; ils nous apprenaient que l'émir avait passé la nuit à l'est de Bordj-Hamza, que les affreux ravins où il avait été forcé de se frayer un passage, étaient encombrés de bêtes de somme éreintées et de chargements abandonnés, et que Ben Salem, redoutant la première irritation de ceux qu'il avait encore entraînés dans cette révolte, n'avait point osé se séparer d'Abd-el-Kader.

Le Gouverneur montra beaucoup d'indulgence aux Kabyles : comprenant les difficultés de leur position, il excusait tacitement leur système de neutralité. Bien plus, on reçut en grâce, sans trop approfondir ses explications, le jeune Ben-Zamoun dont la conduite avait été plus qu'équivoque.

Ce chef de dix-neuf à vingt ans, impressionnable comme on l'est à cet âge, avait paru, dans ses excursions à Alger, s'initier beaucoup à nos mœurs ; aussi, grande avait été la surprise d'apprendre qu'il eût des premiers fait sa soumission à l'émir. Les chances favorables à celui-ci furent d'une si courte durée, que Ben-Zamoun put, au moment de leur ruine, colorer d'un prétexte assez plausible son apparente défection. Il prétendit que lui-même, victime du coup de main de l'émir, en avait reçu tout-à-coup une lettre impérieuse datée d'Emnaïel, au-dessus des Issers, c'est-à-dire de l'endroit où se trouvaient une grande partie de sa fortune et même plusieurs membres de sa famille. Il avait donc cru nécessaire, en pareille occurrence, de faire bon visage à l'ennemi jusqu'à ce qu'il lui eût tiré des mains ses parents, ses trésors ; mais au reçu d'une réponse évasive, calculée dans ce 

    

 

   
sens, Abd-el-Kader, afin de le compromettre à nos yeux, lui avait envoyé de suite un cachet et un burnous d'investiture. Après tout, sa conduite annonça la tranquillité d'une bonne conscience, ou fut un chef-d'œuvre d'audace ; car il vint se remettre entre nos mains sans explication préalable. On le vit tout-à-coup dans Alger, lorsqu'on le supposait encore avec Abd-el-Kader.

Cependant la razzia de Cherrak-el-Teboul, liquidée par les soins de l'administration, avait produit 44,000 francs. On préleva ce qu'il fallut pour indemniser les lssers des pertes qu'ils avaient éprouvées. Cette répartition, opérée en présence du caïd et des cheikhs, produisit le plus grand effet sur les tribus kabyles. Le sentiment de la tutèle gouvernementale poussé si loin, les frappa d'étonnement et d'admiration.

Moralement, matériellement, l'émir était anéanti. Le corps du colonel Pélissier venait d'entrer encore sur le théâtre des opérations. Le 7 mars, dans l'Isser central, le Gouverneur était entré en communication avec lui. Le 11, un mouvement combiné s'opérait vers Hamza contre Abd-el-Kader, qu'on avait su réfugié chez les Beni-Yala. Mais n'y trouvant aucun appui, réduit aux derniers expédients, environné de nos colonnes, cet homme infatigable s'était précipité dans la direction du sud, au risque de tomber sur un des corps qui devaient lui barrer le passage.

Effectivement la rencontre eut lieu. On apprit tout à-coup que le 7 mars, tandis qu'il achevait de piller au passage une de nos tribus alliées, le colonel Camou l'avait joint par une marche forcée, l'avait mis en pleine déroute et l'avait poursuivi plusieurs lieues le sabre dans les reins.

Le Gouverneur fit, quelques jours après, une entrée solennelle dans les murs d'Alger, en tête de la colonne du général d'Arbouville. Ce fut un spectacle émouvant. Depuis six mois, ces 

 
Pages précédentes   Retour page Table des matières   Pages suivantes