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Son frère, Sid Omar-ben-Salem, fut investi, sur sa désignation, du commandement auquel il renonçait lui-même. La Grande Kabylie commençait donc à se démembrer de toutes parts, et ses morceaux dérivant, pour ainsi dire, vers la domination française, gravitaient autour de Bougie, Sétif, Dellys, Aumale ou Alger même, d'après leur position géographique. Au centre seulement, un noyau demeurait encore immobile ; mais on ne distinguait autour de lui ni des rassemblements de forces considérables, ni des préparatifs inquiétants, ni des velléités de résistance fanatique : c'était l'instant le mieux choisi pour compléter, par une démonstration imposante, l'œuvre de la conquête.
 

II.

 
Le plan de campagne fut conçu dans une intention multiple.

Deux colonnes opéreraient ensemble, afin de diviser l'attention et les contingents de l'ennemi ; elles offriraient un effectif considérable, afin de décourager de prime-abord ou d'écraser facilement toutes les résistances : c'était le moyen d'éviter l'effusion du sang et de maintenir son vif éclat à la réputation de nos armes. On partirait de Sétif et d'Alger pour se rendre à Bougie ; cet itinéraire, parcourant à peu près en entier les territoires insoumis, fixait en outre le concours stratégique, la jonction des deux corps expéditionnaires près du défilé de Fellaye, où l'on devait craindre que l'ennemi ne concentrât ses forces avec avantage, eu égard aux obstacles naturels de cette position très-réputée dans le pays. La marche des deux colonnes servirait eu même temps de reconnaissance préalable aux routes futures de la Grande Kabylie. Un des premiers résultats de notre conquête devait être d'ouvrir, de Sétif et d'Alger sur Bougie, les deux communications les plus intéressantes pour le commerce, l'industrie et le maintien de notre autorité.

Le 6 mai 1847, une forte colonne partant d'Alger prit la nouvelle route d'Aumale, que plusieurs bataillons venaient de créer 

    

 

   
pendant l'hiver avec un zèle et une persévérance dignes des plus grands éloges. Après quatre journées de marche, un peu au-delà de Bettem, l'armée changea de direction vers l'est. Le 12, elle campait à Hamza, vis-à-vis le fort turc en ruines. Elle avait rallié la petite garnison mobile d'Aumale, ce qui portait son effectif à près de huit mille hommes. Le Maréchal Gouverneur-Général, qui la commandait en personne, réunit ce jour-là tous les officiers devant sa tente, leur annonça l'objet, le caractère de l'expédition et leur rappela brièvement les principes les plus essentiels de la guerre de montagnes. Le surlendemain, le lieutenant-général Bedeau quittait Sétif à la tête de sept mille et quelques cents hommes, se dirigeant en droite ligne sur l'étroite vallée du Bou-Sellam.

Le guerrier kabyle songe avant tout à défendre son champ, sa maison, sa famille ; s'il les croit menacés, on ne l'entraîne point dans une diversion. La marche concentrique de nos troupes obligeait les tribus comprises entre les deux routes à faire face chacune du côté d'un danger différent. Dès lors, une coalition générale devenait impossible de leur part. Vainement quelques-unes s'émurent ; vainement elles échangèrent des messages et des promesses ; elles ne parvinrent point à s'entendre sur un plan de défense commune. Au contraire, les chefs soumis venaient au camp du Gouverneur-Général lui apporter leur influence et leurs conseils. Ce fut d'abord Ben Mahy-ed-Din, puis Omar Ben-Salem ; enfin El-Mokrani, kalifa de la Medjana. Ce dernier s'était fait précéder de son fils, jeune homme très-francisé pour un Arabe et qui a visité Paris. On n'a pas oublié que ces Mokranis sont une famille princière dont l'influence se perpétue héréditairement, et que leurs ancêtres passent pour avoir bâti ou agrandi Kuelaâ, ville principale des Beni-Abbas. Le vieux chef en profita pour faire valoir sur cette tribu des prétentions qui furent admises, car on lui promit de l'incorporer dans son gouvernement de la Medjana. Aussi, s'empressa-t-il d'en aller voir les chefs et les exhorter à la soumission ; mais ceux-ci refusèrent d'accepter aucune servitude avant d'avoir brûlé de la poudre.

 
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