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Le 15, on campa à Sidi-Moussa, au bord de la Summam ; sur la rive opposée s'élevait en amphithéâtre le pays riche, mais difficile, de ces Beni-Abbas. Leurs villages nombreux, rapprochés, se commandant et se flanquant l'un l'autre, garnissent une série de pitons ardus ; le plus inaccessible, et en même temps l'un des plus populeux, est Azrou, qui couronne une plate-forme nue, oblongue, étranglée sur le faîte et jusqu'à la croupe du chaînon supérieur. Pendant cette journée d'attente, le Maréchal alla reconnaître le sentier par lequel on pourrait déboucher le lendemain. Il visita aussi ses grand'gardes, les Kabyles ayant l'habitude des attaques de nuit, ou tout au moins des vols nocturnes, dont quelques tentatives avaient été sévèrement punies la veille ou l'avant-veille.

Ce fut plus sérieux cette fois. Dès que les ténèbres s'épaissirent, une fusillade s'ouvrit et circula devant toutes les faces du camp ; elle devint même si vive, qu'un déplacement fut préparé. Heureusement, grâce au sang-froid de nos avant-postes, qui détachaient très-loin de petites embuscades, les Kabyles, contenus partout, se retirèrent à peu près à minuit. On jugea par le nombre des chachias et des burnous abandonnés qu'ils avaient essuyé beaucoup plus de mal que nous, car il n'y eut de notre côté qu'un mort et trois blessés.

Cet avantage ne suffisait point ; il fallait répondre à l'insulte par un exemple mémorable.

Le 16, avant le point du jour, une sourde agitation commence à bruire dans notre camp.
On selle les chevaux, on charge les mulets, la cavalerie s'ébranle et le convoi se masse ; les bataillons qui campaient en face la rivière atteignent déjà l'autre bord ; en moins d'une heure, la colonne entière a traversé les gués, et trois bataillons seulement couvrent la position évacuée, pour faire obstacle aux contingents kabyles qui pourraient accourir de la rive gauche au secours des Beni-Abbas. 

    

 

   
Mais cette précaution fut inutile, et les bataillons se replièrent de bonne heure.

L'attaque des positions commence. Tandis que plusieurs compagnies des zouaves enlèvent les premiers contreforts, la colonne d'attaque, composée de huit bataillons sans sacs, déborde rapidement la droite des tirailleurs ennemis, en filant au pas de course sous une grêle de balles qui plonge de trop haut pour atteindre beaucoup de monde. Alors on aperçoit la seconde ligne de Kabyles qui se consacre à la défense des villages. D'abord elle entretient une assez vive fusillade ; mais l'emploi des fusées l'étonne, plus encore l'élan de nos troupes qui, presque sans avoir tiré, sont au moment de la joindre ; elle se replie vers les positions supérieures, après avoir cependant défendu pied à pied les quatre premiers villages. Telle était la limite que la prévoyance kabyle avait marquée à nos succès. Sur ces quatre points dont on avait fait le sacrifice à notre réputation militaire, toutes les maisons étaient désertes, toutes les richesses évacuées. Mais, à travers les sentiers étroits, les rocs impraticables, les blés à hauteur d'homme, les rues barricadées et la fusillade continue, nos bataillons marchaient toujours. Les difficultés de terrain croissent de plus en plus ; l'ennemi veut s'opiniâtrer, car on va toucher aux asiles qu'il a choisis pour ses familles et ses biens. Déjà les deux hameaux inférieurs, quoique liant leurs feux et flanqués chacun d'une tour isolée, ne lui semblent plus assez sûrs. Pendant que les guerriers tiennent encore, on voit une émigration panique encombrer les raides sentiers qui montent au village d'Azrou. Mais le flot vainqueur se précipite plus tôt qu'on n'avait cru, et une multitude d'objets restent en son pouvoir.

Déjà la chaleur commençait. Depuis trois heures, sans interruption, les soldats avaient combattu et couru plutôt que marché. S'arrêter cependant, c'était confirmer à Azrou son renom d'inexpugnabilité ; c'était attirer sur notre ligne de retraite tous les Kabyles en hardis.

 
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