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Rien n'est fait avec eux tant qu'il reste à faire quelque chose. Enfin, différer seulement l'attaque de leur dernier poste, c'était leur donner le temps de s'y rallier, d'y reprendre du courage et de l'ensemble. Trop homme de guerre pour ne pas tirer tout le parti possible de son ascendant moral, et jugeant d'un coup d'œil ce terrain difficile, le Maréchal a déjà lancé les zouaves sur la droite du village par une croupe abrupte, hérissée, qu'on gravit avec mille détours en s'aidant des buissons et de ses mains ; au centre, le 6e bataillon de chasseurs d'Orléans, qui se déroule dans l'étroit et unique sentier sous le feu des maisons crénelées ; à gauche enfin, le 3e léger, pour tourner la position et menacer la retraite des défenseurs d'Azrou. Ces trois colonnes marchant d'un pas égal à travers une fusillade précipitée, sans perdre de temps à lui répondre, offraient un beau spectacle qui caractérisait dignement l'audace, la confiance et l'aplomb de notre infanterie d'Afrique (1 ).

Alors, les Kabyles s'enfuient dans toutes les directions par les pentes du sud. Nos bataillons sont répartis dans les villages emportés pour en faire un terrible exemple ; bientôt les flammes s'en échappent noires, épaisses, fétides, par la combustion des grands approvisionnements d'huile qui s'y trouvaient. Les deux tours qui dominaient le pays, et que le khalifa Mokrani nommait les Cornes du Taureau, tombent avec fracas sous les coups de l'artillerie.

C'était près de ces tours, entre les deux hameaux, au pied d'Azrou, que s'était arrêté le Maréchal, entouré d'un grand nombre d'officiers. Tout-à-coup, un homme s'avance au milieu du cercle. C'est un Kabyle ; mais la propreté de son vêtement, la dignité de sa démarche, l'expression de sa physionomie annoncent un chef. Il adresse la parole au Maréchal avec beaucoup de véhémence :
" Je viens te demander l'aman pour les miens et pour moi.
" - Qui es tu ?

 

(1) Voir la note K.

    

 

  
" - L'un des chefs des Beni-Abbas. Hier, je les excitais moi même au combat. C'est moi qui, plus vivement qu'aucun autre, ai repoussé les paroles pacifiques de ton khalifa Mokrani. Je l'aperçois à tes côtés, il peut témoigner contre moi. Tout ce que j'ai fait, je l'avoue. Maintenant tu nous a vaincus, et aussi franchement que je t'ai combattu, je viens te dire : Nous sommes prêts à t'obéir ; veux-tu nous accorder l'aman ?
" - Tu l'auras si tu te soumets à mes conditions.
" - Nous sommes dans ta main. Fais d'abord cesser la poursuite et l'incendie : après, ordonne ce qu'il te plaira ; nous l'exécuterons.
" - Je ne veux pas traiter séparément avec chacune des fractions de la tribu ; il faut que toutes viennent à la fois ; alors je rappellerai mes soldats.
" - Retire-les de suite. Moi, je te parle au nom de tous les chefs. Demain soir je les amènerai tous à ton camp.
" - Pourquoi seulement demain soir ?
" - J'ignore où ils sont à cette heure. Tout le monde fuit au hasard et de cent côtés différents. Une journée sera courte pour les rallier tous.
" - Et s'ils refusent de te suivre ?
" - Ils ne refuseront pas.... Que veux-tu qu'ils deviennent ?... S'ils refusaient, je viendrais seul à ton camp, et je te servirais de guide pour brûler les autres villages.
" - Va donc les rassembler. Je resterai encore aujourd'hui et demain dans le camp que j'occupe au pied de vos montagnes. Je t'attendrai. "

Avant de traduire cette réponse, le directeur des affaires arabes fait observer au Maréchal qu'en ramenant les troupes et laissant partir le Kabyle on ne conserve aucun gage de sa bonne foi. Dans le cas où ses ouvertures tendraient uniquement à obtenir quelque répit, on pourrait se venger, il est vrai, par une incursion nouvelle ; mais ne s'en suivrait-il pas aussi une nouvelle perte d'hommes et de temps ? Le Gouverneur réfléchit un instant ; il regarde fixement le Kabyle, qui demeure posé dans une attitude très-digne ; enfin il répond de la sorte :

 
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