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propos qu'un taleb, ayant emporté dans son enfance le chef actuel de Sidi ben-Ali-Chérif sur l'autre bord de l'Oued-Sahel, fut tout-à-coup frappé de cécité en punition de ce méfait.

Près de la tombe du fondateur, s'élèvent deux noyers gigantesques, dont on ne peut toucher les fruits avant que l'assemblée générale des tolbas n'ait donné cette licence, et que préalablement le fatah n'ait été dit sur eux. Un taleb ayant eu l'audace d'y toucher avant l'accomplissement de cette cérémonie, fut sévèrement puni de sa gourmandise : une sangsue tombée du ciel lui mordit et lui fit perdre un oeil.

La zaouïa de Sidi-ben-Ali-Chérif se distingue des autres par sa moralité. Le taleb convaincu de libertinage en est chassé tout nu, après avoir vu brûler ses vêtements sur la place publique. Il est à remarquer aussi qu'on n'y possède point d'esclaves : lorsqu'il en arrive à titre de présent, on les accepte, mais ils sont affranchis de suite.

A coté d'une semblable coutume et des efforts développés dans ce sanctuaire de science pour la propagation des lumières, on est surpris d'observer un usage digne de l'obscurantisme le plus rétréci. Les villages de Chellata et d'Ighil-ou-Mered renferment, à proprement parler, les serviteurs de la sainte maison ; ce sont eux qui l'approvisionnent de bois et d'eau, qui exécutent en un mot toutes les corvées domestiques. Or, afin que cette race de subalternes ne vienne jamais à manquer, les enfants n'y peuvent recevoir aucune instruction ; il est défendu sévèrement aux tolbas de leur apprendre même à lire.

Pour la nourriture des pauvres, des élèves et des tolbas, cinq moulins, appartenant à l'établissement, sont toujours en activité. L'un d'eux est affecté spécialement aux hôtes ; eux et les malades sont nourris de pain blanc ; les gens de la maison mangent du pain d'orge. La pâte se confectionne chez le cheikh ; 

    

 

   
les gens du village de Chellata viennent prendre les pains, ils les font cuire et en conservent un sur cinq en paiement de leur travail.

La zaouïa de Sidi-ben-Ali-Chérif joint à un casuel énorme de belles propriétés foncières ; elles lui viennent de son fondateur et de plusieurs donations pieuses, dont la plus importante a été celle d'un marabout fameux, Sidi-Hamed-ou-Msaoud, mort sans postérité. La mission d'aller recueillir les dons des fidèles est confiée à des hommes sûrs ; continuellement il y en a sur pied. Leurs circonscriptions de tournées sont au nombre de cinq : les Zouaouas, les environs de Bougie, la Medjana, le Ferdjioua et le Ziban. Ces envoyés-quêteurs emportent avec eux, comme pièce de créance, soit le bâton, soit le chapelet, soit une lettre du marabout. Grâce à ce talisman, ils reçoivent partout un excellent accueil et sont hautement protégés des chefs dont ils traversent le pays.

Il convient d'ajouter que, pour se rendre ces derniers favorables, le chef de la zaouïa leur fait tenir, à certaines époques, des présents connus sous le nom de baraket el cheikh, la bénédiction du cheikh. Ce sont des oeufs ou des plumes d'autruche, des autruches, des gazelles, des peaux de lion et de tigre, des mules ou mulets, etc.

La demeure du chef suprême est mystérieuse et vénérée comme un sanctuaire. Deux enfants qui n'ont point encore jeûné, se tiennent sans cesse à la porte et arrêtent les indiscrets. Auprès du seuil pend une chaîne de fer ; celui qui veut communiquer avec le personnage saint, agite cette chaîne et reçoit alors une réponse.

Si-Mohammed-Said, chef actuel de la zaouïa de Sidi-ben-Ali-Chérif et des quatre tribus qui la desservent, est un jeune homme de vingt-cinq ans ; ses traits sont beaux et calmes ; ses manières sont nobles, distinguées ; ses paroles empreintes d'une 

 
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