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mansuétude inaltérable. Il a
épousé la sœur de Bou-Aokas-ben-Achour, notre grand
dignitaire du Ferdjioua ; il est aussi parent de notre caïd
de Bathna. Ces liens l'avaient conduit à en tendre beaucoup
parler des Français et à ouvrir dès la première occasion
des rapports avec nous. Le général Bedeau, commandant la
province de Constantine, avait bien auguré de ses
dispositions.
Si-Saïd justifia toutes les préventions favorables
conçues à son égard. Très-supérieur aux autres marabouts
en général, ce jeune homme, dans l'horizon borné où les
prophéties le retiennent, a su pourtant acquérir une
variété de connaissances, une érudition relative, une
expérience des hommes, un charme de conversation qui
confondent ses interlocuteurs. Il est vrai que s'il ne
parcourt point le monde, le monde vient vers lui. Sa zaouïa
renferme constamment, soit comme pèlerins, soit comme
voyageurs, des musulmans très distingués de toutes les
régions.
Si-Saïd paraissant convaincu des avantages matériels que
notre présence en Algérie devait amener tôt ou tard, le
Maréchal-Gouverneur lui offrit un commandement très-étendu.
Mais ce projet fut écarté sur les observations du marabout
lui-même. Il prétendit que sa domination religieuse lui
interdisait l'exercice actif du pouvoir ; il invoqua notre
propre intérêt, assurant qu'il nous rendrait plus de
services en qualité d'ami qu'en qualité d'agent ; il sut
faire valoir, avec beaucoup d'adresse, la nécessité,
l'avantage de maintenir intacte son indépendance sacrée. A
côté d'appréciations justes, ses discours renfermaient
quelques subterfuges pour éviter l'investiture, qui
n'échappèrent ni au Maréchal, ni à son chef d'affaires
arabes ; mais, comme exemple, on voulut ménager la classe si
importante des marabouts ; il répugnait, d'ailleurs, de
violenter un homme distingué qui nous rendait, en ce moment
même, des services incontestables.
N'acceptant de burnous ni pour lui, ni pour ses marabouts,
Si-Saïd se chargea de les distribuer lui-même aux hommes les
plus
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importants de ses tribus. Mais il
trouva chez eux, à côté d'une répugnance instinctive
contre ce symbole extérieur de la domination chrétienne, des
sentiments d'égalité tellement absolue, qu'il eut une peine
infinie à les vaincre. Cette affaire, traitée en colloque
public, nous donna la mesure de l'art oratoire, des habiles
détours, de la patience infatigable qu'il lui faut déployer,
en chaque occurrence, pour le maintien de son autorité toute
morale. Ce fut encore le jeune marabout qui servit
d'intermédiaire, auprès de nous, à l'importante tribu des
Beni-Ourghlis, voisine de sa zaouïa. Grâce à l'effet moral
du combat d'Azrou, l'armée passa sans coup férir le fameux
défilé de Fellaye, où une redoutable série de positions
défensives se développe pendant plus de deux lieues. |
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III. |
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Pendant ce temps, la colonne de
Sétif s'acheminait vers le point de jonction, après avoir
également triomphé des obstacles qu'elle avait rencontrés
sur sa route. Le 16 mai, c'est-à-dire à son troisième
bivouac, le lieutenant-général. Bedeau campait en face des
Reboulas, tribu puissante, industrieuse et de tout temps
hostile aux Français. On ne fut donc aucunement surpris de la
trouver sous les armes et garnissant des crêtes d'où l'on
domine son pays. Une colonne d'attaque soutenue par quatre
obusiers, cinquante fusils de rempart et trois escadrons
réguliers, gravit rapidement la position. De ce point
culminant, l'œil plongeait dans tous les villages de la tribu
; on distinguait, entre autres, celui où Muley-Mohammed,
l'agitateur de toutes les contrées voisines, venait retrouver
au besoin un asile assuré. On l'incendia de même que
quelques autres des plus proches. La présence des guerriers
kabyles tout autour de notre rayon d'attaque, trahissait une
résolution d'inquiéter la retraite ; aussi une réserve
d'infanterie et de cavalerie fut-elle disposée dans l'unique
but de mettre cette tentative à profit. En effet, un retour
offensif habilement ménagé refoula tous les assaillants, et
les troupes regagnèrent leur bivouac sans entendre un coup de
fusil. |
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