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Toutefois, les rassemblements hostiles n'étaient pas dissous. Le jour suivant, deux à trois mille hommes des Reboulas et des Beni-Brahim faisaient encore face à notre nouveau camp, qui occupait une position très peu distante de celui de la veille, mais commandant beaucoup mieux le pays. La division semblait régner dans les conseils de l'ennemi. Tandis que presque tous les chefs prenaient auprès du général l'engagement de se soumettre, de cesser les hostilités et d'interdire leur territoire aux contingents du voisinage, une fusillade assez vive tenait sur pieds nos avant-postes. Mais le soir et la nuit rétablirent l'accord entre les guerriers et leurs chefs ; car ceux-ci reparurent à notre camp le lendemain, et la colonne se mit en marche sans éprouver aucune hostilité nouvelle de ce côté.

Elle entrait alors dans le pays des Beni-Ourtilan, et ceux-ci se présentaient en armes pour nous disputer le passage. Ils ne réussirent pas à le retarder d'un moment ; le convoi continuait sa marche sous le flanquement de deux bataillons, tandis que l'avant-garde et la droite, courant sur l'ennemi, culbutaient, dispersaient ses groupes tumultueux, et occupaient quatre villages dont la population n'avait pas encore eu le temps de s'enfuir. On détruisit les demeures des hommes signalés comme les principaux agitateurs, et aussitôt la tribu des Beni-Ourtilan sollicita l'aman (1).

Le lendemain 19 mai, cet exemple fut imité par les Beni-Haffif et les Guifsar. Bien plus, les grands chefs Si-Mioub-el-Aratch et Si-Mohammed-ou-Rabah, vinrent au camp du général. C'était la garantie la plus certaine des dispositions pacifiques du pays qui nous restait encore à parcourir jusqu'à la vallée de la Summan. Ces deux brillants combats du 16 et du 18 mai, ne nous coûtèrent que treize hommes tués et quarante six blessés; ils amenaient sous notre obéissance toutes les tribus que doit traverser un jour la route de Sétif à Bougie.

 

(1) Voir la note J.

    

 

   
Les deux colonnes du Maréchal et du lieutenant général Bedeau opérèrent leur jonction à une journée de marche au-dessus du confluent de la Summam. Ce fut là que parurent le fils et le neveu de Mohammed-ou-Amzian (1). Quant à lui, malgré les promesses d'aman qu'il avait sollicitées et reçues, trop indigne de notre générosité pour y croire, il n'avait point osé venir. Le Maréchal décida que son neveu recevrait l'investiture des Ouled-Abd-el-Djebar. En ce qui concernait Amzian, il ajouta : " Je n'ai plus rien à lui faire dire : trois fois il a demandé l'aman et trois fois je le lui ai promis. Son ancien attentat l'empêche d'avoir confiance en nous ; j'en suis bien aise : c'est la justice divine qui l'aveugle ainsi pour assurer son châtiment ; car s'il se fût rendu de plein gré, nos principes d'honneur nous eussent interdit de lui faire aucun mal, au lieu qu'insoumis il tombera tôt ou tard entre nos mains, et alors nous lui demanderons compte du sang qu'il a versé. "

Le 23 mai, l'armée entière, formant un effectif d'environ quinze mille hommes, campa face à Bougie sur les revers du col de Thisi. Jamais les Kabyles n'avaient vu de semblables soldats ni en tel nombre ; ils en demeurèrent frappés. " Nous avions bien appris, disait l'un d'eux, que c'était une folie à nous de résister, tant votre puissance était grande ; mais nous ne l'avions pas vue. Maintenant, notre oeil est satisfait. "

Le dernier épisode saillant de cette campagne politique fut une cérémonie qui en résumait parfaitement le caractère et le succès : l'investiture solennelle d'environ soixante chefs kabyles. - Le 24 juin, au milieu du jour, tous étaient réunis devant la tente du Maréchal ; une salve de six coups de canon leur annonça qu'ils allaient entendre la volonté du roi des Français, leur sultan.

Assisté de deux traducteurs qui reproduisaient ses paroles, l'un en arabe, l'autre en kabyle, le Gouverneur s'exprima à peu près

 

(1) L'assassin du commandant Salomon de Musis. Chapitre III.

 
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