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Sid-el-Djoudi, chef des Zouaouas, exerce plutôt sur eux une grande influence qu'une autorité régulière. Depuis plusieurs années, sa raison passe pour être obscurcie par les fumées d'un amour-propre ridicule. Dans sa correspondance, il s'intitule l'orgueil des montagnes : à part ce trait, qui le peint assez bien, le reste en est d'une profonde incohérence. Il se pose toujours en ami des Français, mais on ne peut tirer de lui aucune démarche décisive. Dès que le Maréchal parut dans la haute Summam, il annonça l'intention de se rendre à son camp, et lui envoya en présent plusieurs charges de neige pour rafraîchir sa boisson ; puis il ne parut point. Quelques-uns des siens vinrent même prendre part à l'attaque nocturne des Beni-Abbas. Il rejeta le tout sur l'effervescence des Zouaouas, et prétendit qu'ils les empêchait de descendre à un grand rendez-vous militaire aux environs d'Akbou. Nos défiances furent encore accrues par Si Mohammed-Saïd, qui manifesta quelques craintes de voir sa zaouïa exposée aux insultes des Zouaouas, pour avoir reconnu l'autorité française. Aussi, le Gouverneur était-il bien tenté de frapper sur ces montagnards un coup doublement profitable, en ce qu'il retentirait à la fois dans la vallée de la Summam et dans celle du Sebaou.

Interpellé sur ce qu'on pourrait trouver chez eux en fait d'eaux, de chemins, de campements, Si Saïd répondit : " Ne serait-ce pas bien mal à moi de livrer ainsi mes frères en religion, sans avoir épuisé d'abord, pour les conduire au bien, toutes les ressources de la persuasion ? Que l'armée continue sa marche sur Bougie, et j'essaierai, pendant ce temps, d'amener les montagnards à composition. Quand elle reviendra, si mes paroles ont été perdues, moi-même je la conduirai, par un chemin facile, au bord d'un lac supérieur, d'où elle dominera presque toute la région insoumise, et où son camp sera très-bien assis. "

Le Maréchal n'insista pas ; mais une fois renseigné à demi, il obtint facilement, par d'autres bouches, les documents complémentaires. A une lieue environ au-dessous du bivouac de 

    

 

   
Chellata, nous aperçûmes très-distinctement, à notre gauche, sur un contre-fort assez doux, le chemin qui conduit vers ce lac supérieur où le camp devrait être posé, pendant que des colonnes légères attaqueraient successivement tous les villages des Zouaouas.

D'ailleurs, est-il bien nécessaire de recourir aux armes pour obtenir la soumission des Zouaouas, pour les châtier toutes les fois qu'ils l'auront mérité ? Nous sommes loin de le penser ; les renseignements qui précèdent font voir à quel point ces montagnards inaccessibles dépendent de la plaine, à quel point ils sont dans la main d'une autorité régulière, qui sait se faire obéir de tout le reste du pays. En effet, qu'on les bloque sur leur territoire improductif qu'on leur ferme les issues peu nombreuses de l'Oued-Sahel et de l'Oued-Sebaou par lesquelles ils se rendent en pays arabe ; qu'on fasse saisir par nos caïds, sur tous les marchés de l'Algérie, les Zouaouas qui seraient parvenus à violer la consigne ; on réduira de la sorte les tribus les plus pauvres en cent jours, les autres en un an, les plus riches en dix huit mois ; et on les réduira, sans coup férir, par la seule efficacité d'une mesure administrative.

 

II. (1)

 
Presque toutes les villes que nous avons trouvées en Algérie semblait avoir été bâties sous l'empire de la crainte. Vainement eût-on cherché, dans un vaste rayon autour d'elles, une position plus retirée, plus inaccessible, plus inexpugnable que la leur ; Kuelâa, sous ce rapport, passe à bon droit pour une merveille. Le seul point par lequel un corps de troupes puisse en tenter l'approche est Bouni, du côté de la Medjana. 
 

(1) Les renseignements trés-curieux contenus dans ce numéro. nous ont été fournis par M. de Chevarrier, touriste distingué, qui a parcouru toute la Medjana, sous la seule protection des indigènes, et vraisemblablement le seul Européen qui soit entré dans Kuelâa.

 
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