Revenons à la Grande Kabylie
pour l'embrasser une dernière fois d'un coup d'œil
général. Elle est conquise : quelle destinée lui fera son
conquérant ?
A lui s'offre une population condensée, laborieuse, non
pas sauvage, mais à demi barbare, moins esclave de sa
religion que de ses marabouts, indépendante depuis des
siècles, et depuis des siècles aussi invariable ment
attachée à ses coutumes nationales.
Aux temps passés où l'esprit de conquête était entaché
de violence, de fanatisme et de rapacité, peut-être le
vainqueur fût-il parvenu à détruire en partie cette
population, à lui ravir le sol pour le distribuer à des
immigrants de sa race ? Peut-être eût-il ramené par le fer
sous les lois de l'Évangile, ceux dont les ancêtres jadis
furent convertis de la sorte au Koran ? Peut-être, en un mot,
par un abus impitoyable de la disproportion des forces,
eût-il réussi à comprimer toute résistance sous le poids
de la terreur et à noyer dans des flots de sang l'antique
nationalité kabyle. L'invasion des Arabes, celle des Barbares
du Nord montrent quelquefois le succès au bout de ces moyens
terribles ; mais leur emploi, dans notre siècle, ne peut pas
même être sérieusement mis en discussion.
Si le conquérant civilisé apporte à l'accomplissement de
son oeuvre des moyens matériels supérieurs à ceux du
conquérant Barbare, d'un autre côté, sa marche est à
chaque pas entravée par des considérations morales,
humanitaires, dont l'autre s'affranchit toujours, et
auxquelles le vaincu ne sait jamais rendre justice. Toutefois,
ni ce dernier mécompte, ni aucun autre, ne lui permettent de
méconnaître son honorable caractère ; le seul but qu'il
puisse s'avouer à lui-même, dans une tentative
d'agrandissement quelconque, est la propagation des lumières,
la communication du bien-être, le progrès continu de l'œuvre |