Dans la Grande Kabylie, la terre
manque à l'indigène : irons-nous la lui mesurer plus
parcimonieusement encore, afin d'en jeter quelques lambeaux à
des colons européens ? La politique et l'équité
condamneraient également un semblable système. C'est par une
voie plus détournée, mais aussi plus conciliante, que le
peuple instituteur doit entrer en partage avec son élève de
la surabondance de biens due à leur association.
Si l'ensemble des faits groupés dans cet ouvrage pouvait
exercer quelque influence sur l'opinion publique, son premier
résultat devrait être d'y déraciner le fâcheux préjuge
d'une antipathie instinctive entre la race française et la
race kabyle. Loin de paraître incompatibles, ces deux races
ont, au contraire, un grand point de contact : elles sont
ouvrières l'une et l'autre. Le manoeuvre kabyle vient
travailler incessam ment dans l'atelier français ; pourquoi
l'industriel français n'irait-il pas civiliser l'atelier
kabyle ? Pour quoi, sous la haute protection de notre
gouvernement et avec l'anaya des marabouts, d'habiles ouvriers
n'importeraient- ils pas successivement nos pro cédés
supérieurs dans les huileries, dans les mines, dans les
forges, dans les fabriques d'armes de la Grande Kabylie ?
Croit-on qu'un ouvrier, même Bar bare, puisse méconnaître
la supériorité réelle dans son art, ou qu'il refuse de
l'atteindre en s'associant celui qui la possède?
D'un autre côté, nos émigrants français en Algérie
sont d'une espèce qui réclame impérieusement ces fonctions
dirigeantes. Chez nous, la classe exubérante qui s'expatrie
n'est point celle des travailleurs subalternes : l'agriculture
et bien des professions réclament sans cesse, réclament
vainement des bras. Mais il existe une classe moyenne
d'industrie qui, soit présomption, soit amour-propre
légitime, ne trouve point sa place en France et la cherche
résolument jusque sur la terre d'Afrique ; or, cette place
n'est point à la charrue ; elle n'est point au bas de
l'établi. Interrogez le cultivateur, l'artisan qui
débarquent : un jour l'adversité pourra bien les contraindre
d'entrer en condition ;
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