Pages précédentes LA GRANDE KABYLIE   CHAPITRE DOUZIÈME Pages suivantes
  Retour page Table des matières
   
  
une fois posées, notre édifice n'aura plus de secousse à craindre que sur le terrain des impôts.

La politique intéressée des marabouts a développé chez les Kabyles une profonde horreur du tribut envers l'étranger. Cela ce conçoit sans peine : les marabouts sont les premières victimes de l'impôt, puisque tout le superflu du peuple leur revient immanquablement. Toutefois, si nos exigences restent légères, si nous les compensons par des travaux d'utilité publique, tels que routes, ponts, viaducs, barrages, dessèchements, avec l'impulsion nouvelle donnée à l'industrie et au commerce, la richesse du pays augmentera, et ceux qui en bénéficient le plus nous seront attachés par l'intérêt ; ils deviendront nos alliés contre ces chérifs turbulents, leurs rivaux naturels, dont le métier consiste à parcourir la terre musulmane en y prêchant la guerre sainte.

Notre domination ne court aucun péril à s'associer les marabouts, sûre qu'elle est de les absorber tôt ou tard. Leur influence repose sur un besoin d'ordre et non sur un instinct de fanatisme : qu'arrivera-t-il à la longue ? Les Kabyles s'habitueront à reconnaître peu à peu qu'en nous réside tout principe de force et de stabilité ; cependant, leur foi religieuse n'aura pas acquis plus d'ardeur : ainsi, le temps fera perdre aux marabouts une partie de leur utilité terrestre, et n'ajoutera rien à leur autorité divine.

Sans chercher même à préciser l'époque où le gouvernement de la Grande Kabylie pourra devenir plus direct, remettons-en tous les détails aux chefs des premières familles et aux marabouts ; n'inquiétons le pays par la présence d'aucun poste intérieur, mais sachons y poser le principe d'une responsabilité sévère ; qu'aucun désordre grave ne demeure impuni. La répression nous est facile : on peut l'affirmer, aujourd'hui que presque toute la contrée nous est connue. A part quelques mois rigoureux, nos colonnes sont en état d'opérer dans ces montagnes en toute saison ; elles y rencontreront toujours de beaux villages qui ne 

    

 

   
peuvent nous fuir comme des camps arabes, le matériel, les produits industriels, les jardins et les arbres ; au printemps, elles y trouveront de plus les vallées garnies à perte da vue d'abondantes récoltes. Une région si vulnérable n'est qu'à vingt lieues d'Alger ; nous l'abordons en outre directement par ses quatre angles Dellys, Bougie, Sétif, Aumale ; ne sommes-nous pas en droit de dire qu'elle est dans notre main ?

En résumé, que deviendra la Grande Kabylie ?

Sous l'empire des principes indiqués ci-dessus, elle atteindrait, c'est notre conviction intime, un haut de gré de prospérité. La richesse intérieure, se développant par le concours d'agents et de capitaux français, viendrait affluer largement aux deux ports de Bougie et de Dellys, et offrir enfin quelques échanges à nos produits nationaux.

L'instinct commercial du peuple conquérant a si bien partagé cette conviction que, par deux fois, il s'est précipité au-devant d'un tel avenir avec une in croyable ardeur. Bougie, dans l'année de son occupation, compta jusqu'à 1,500 habitants : plus des trois quarts ont disparu ; mais ils ont laissé là un petit monument, symbole à nos yeux du vaste avenir de Bougie. Ce monument, c'est un pauvre moulin à huile qui n'a jamais vécu que sur la récolte minime des oliviers contenus dans la ligne de nos avant-postes ; or, qu'on y songe, la Kabylie est maintenant ouverte, le moulin ne chômera plus ; une vaste contrée sera son tribu taire. Dellys, avant la fin de 1845, c'est-à-dire également au bout d'une année, comptait 400 habitants, une soixantaine de maisons bâties et environ 500,000 francs engagés.

Au point de vue maritime, la nature a fait quelque chose pour l'une de ces localités, beaucoup pour l'autre. Toutes deux obtiendront, moyennant une dépense modique, un port de commerce assez vaste ; Bougie conservera de plus un des 

 
Pages précédentes   Retour page Table des matières   Pages suivantes