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Contrairement aux idées reçues chez les Arabes, cette punition est infamante aux yeux des Kabyles ; aucun amine n'oserait l'ordonner dans l'étendue de son commandement. On juge par là combien il pourrait être dangereux d'employer des agens peu familiarisés avec les mœurs des différentes races algériennes.
 

VII.

 
On a dû remarquer que le rôle des amines se borne à la police intérieure des tribus ; leurs privilèges sont assez restreints ; leur influence ne suffirait pas pour maintenir l'ordre et la paix publique dans le pays. Aussi, n'ont-ils point à sortir de leurs petites attributions. Pour les grandes affaires, il existe un vague pouvoir, fort au-dessus de leur autorité précise : c'est le pouvoir des marabouts.

Marabout (1) vient du mot mrabeth, lié. Les marabouts sont des gens liés à Dieu.

Lorsque des inimitiés s'élèvent entre deux tribus, les marabouts seuls ont le droit d'intervenir, soit pour rétablir la paix, soit pour obtenir une trêve plus ou moins longue. A l'époque de l'élection des chefs, ce sont les marabouts qui ont l'initiative pour proposer au peuple ceux qui leur paraissent les plus dignes. Ils disent ensuite le fatah (2) sur les élus.

Lorsqu'une tribu considérable a remporté un avantage sur une autre plus faible, et que cette dernière est résolue à périr plutôt que de se rendre, les marabouts obligent la tribu victorieuse à se déclarer vaincue. 

 

(1) Les Français ont donné par extension le nom de marabout aux petits monuments qui renferment des tombeaux de marabouts et qui s'appellent en réalité koubbas : dômes.
(2) Fatah : prière spéciale pour appeler le succès sur une entreprise quelconque.

    

 

   
Admirable entente du cœur humain qui a su donner à chacun sa part de vanité. Les faits de ce genre ne sont pas rares ; et tel est le caractère de ce peuple, qu'il n'est pas d'autre moyen d'empêcher le faible orgueilleux de se faire anéantir.

Lorsque des circonstances graves nécessitent une réunion de tribus, les chefs en ordonnent la publication dans les marchés ; à l'exception des malades, des vieillards, des femmes et des enfants, personne ne manque au rendez-vous, si grande que soit la distance à parcourir. Au jour fixé, les tribus étant groupées séparément, les marabouts s'avancent au centre et font expliquer par le crieur public le but de la réunion, en demandant le conseil à suivre. Chacun a la parole, chacun est écouté, quelle que soit sa classe. Les opinions diverses étant recueillies, les marabouts se réunissent en comité, et le crieur public fait connaître au peuple leur décision. S'il ne s'élève aucune voix pour faire de nouvelles réclamations, on invite l'assemblée à battre des mains en signe de consentement. Cela fait, tous les Kabyles déchargent leurs armes, ce que l'on nomme el meïz : la décision.

Les choses que l'on raconte de l'influence des marabouts dans le pays kabyle sont tellement surprenantes, qu'on hésite à les croire. Les montagnards, dit-on, ne craindraient pas d'égorger leurs propres enfants, s'ils en recevaient l'ordre d'un marabout. Le nom de Dieu, invoqué par un malheureux que l'on veut dépouiller, ne le protège pas ; celui d'un marabout vénéré le sauve.

Les marabouts commandent aux marchés, et l'autorité des amines s'efface devant la leur.

Les marchés sont libres, exempts d'impôts, de taxes ou de droits, et de plus, ils sont inviolables. Chez les Arabes, un homme qui a commis un délit ou un crime peut être arrêté en plein marché ; 

 
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