Pages précédentes LA GRANDE KABYLIE   CHAPITRE DEUXIÈME Pages suivantes
   Retour page Table des matières   
   
  
sur le leur, les marabouts ne tolèrent ni arrestation, ni vengeance, ni représailles, pour quelque motif que ce soit.

Cette influence des marabouts est d'autant plus remarquable, que le peuple kabyle est bien loin des idées religieuses du peuple arabe. Il ignore les prières, il observe mal le jeûne et les ablutions ; il borne à peu près toute sa religion à ceci : " Il n'y a qu'un seul Dieu, et Mahomet est son prophète. " On dit qu'il y a des tribus kabyles où les gens pauvres ne craignent point de manger du sanglier. Ils boivent presque tous de l'eau-de-vie de figue fabriquée par les Juifs qui sont en grand nombre dans le pays. Les préceptes de la religion ne sont suivis que par les chefs, les marabouts et les tolbas.

La cause de celte obéissance passive du peuple est donc toute entière dans son esprit industriel, qui lui fait comprendre à quel point l'ordre et la paix importent au commerce.

Les marabouts, du reste, ont profité de ce respect général pour instituer une des belles coutumes du monde, l'anaya, que nous ferons connaître un peu plus loin.

La vénération publique pour les marabouts ne se traduit pas seulement en honneurs, en déférence, en privilèges. Ils vivent sur le peuple et par le peuple ; on pourrait dire que tous les liens de la nation leur appartiennent. Leurs zaouïas ou habitations communes, dont nous parlerons ailleurs, sont réparées, pourvues, sans qu'ils aient à s'en occuper, sans qu'ils aient besoin même d'exprimer un désir. On prévient tous leurs vœux, on s'occupe de tous les détails de leur vie privée; on leur apporte l'eau, le bois, la nourriture, etc. Vont-ils quêter dans les villages ; chacun s'empresse au-devant d'eux, s'enquiert de leurs besoins, leur offre des montures, les comble de présents.

    

 

   

VIII.

 
Les Kabyles paient des impôts. Ce sont la zékkat et l'achour, prescrits par le Koran, et fixés au centième pour les troupeaux, au dixième pour les grains.

Mais, contrairement aux Arabes qui donnent ces contributions à leur sultan, les Kabyles, organisés en républiques, les apportent à leurs mosquées. On les emploie à défrayer les écoles, à secourir les pauvres, à nourrir les voyageurs, à entretenir le culte, à donner l'hospitalité, à acheter de la poudre et des armes pour les malheureux de la tribu qui sont appelés, comme les autres, à marcher le jour du combat.

Car, chez le peuple kabyle, dès qu'il s'agit de venger une injure ou de repousser une agression, tous doivent se lever, armés ou non, Ceux qui n'ont point de fusil prennent des bâtons, lancent des pierres, et se tiennent à portée des combattants ; leur devoir est d'emporter les morts ou les blessés.

Les femmes même, quelquefois, assistent à ces drames sanglants, afin d'encourager leurs frères, leurs maris ; elles leur apportent des munitions, et si l'un des guerriers vient à fuir, elles lui font avec du charbon une large marque sur son burnous ou sur sa chemise de laine, pour le désigner au mépris de tous.

On régularise le concours général à la défense publique par une formalité qui se rapproche beaucoup de notre recrutement. Lorsqu'un garçon a accompli son premier rhamadan, c'est-à-dire 14 ou 15 ans, suivant sa constitution, il se présente à la djemmâ. Alors il est déclaré bon pour porter un fusil. On l'inscrit au nombre des défenseurs de la tribu, dont il aura désormais à courir les bonnes ou les mauvaises chances. On lit sur lui le fatah, et si son père est pauvre, on lui achète un fusil sur les fonds publics.

 
Pages précédentes   Retour page Table des matières   Pages suivantes