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Les pèlerins, et surtout ceux qui implorent une faveur céleste, font de riches présents: une famille, dont les enfants s'instruisent à la zaouïa, lui donne également en raison de ses moyens. Voilà pour le casuel.

Les zaouïas ont de plus des propriétés foncières, soit que les fondateurs les aient constituées sur un bien à eux appartenant, soit quelles en aient acquis par des extinctions de habous (1). Elles confient la culture de ces terres à leurs propres serviteurs, ou, selon l'usage arabe, à des métayers qui prélèvent le cinquième de tous les produits.

Au besoin, elles font appel à la piété des croyants, et ceux-ci leur fournissent alors une corvée générale (touiza). Mais les revenus fixes n'entrent pas en comparaison avec le produit des offrandes volontaires. Telle zaouia ne possède pas un pouce de terrain, qui l'emporte en richesses sur les mieux loties.

Chaque zaouïa est placée sous l'autorité d'un chef suprême, et cette autorité passe héréditairement de mâle en mâle dans la famille du fondateur. Quand celle-ci vient à s'éteindre, tous les tolbas de la zaouïa se réunissent, l'un d'eux est élu chef pour un an seulement. Si ce personnage justifie le choix, dont il a été l'objet, s'il maintient à l'établissement sa réputation de sainteté, il conserve le pouvoir et devient la souche d'une nouvelle famille de chefs. Dans le cas contraire, on renouvelle l'élection chaque année, jusqu'à ce qu'elle soit tombée sur un homme vraiment digne de l'emploi.

C'est le chef permanent de la zaouïa qui l'administre dans les moindres détails, par l'intermédiaire de ses tolbas et 

 

(1) Le habou est une donation d'immeuble faite dune institution religieuse, avec maintien de la jouissance usufruitière pour les héritiers du testateur. Quand la famille s'éteint, le bien retourne aux légataires.

    

 

   
de ses serviteurs ; mais quand le chef est seulement annuel, les tribus qui desservent la zaouïa choisissent elles-mêmes l'administrateur de ses biens.

On sait qu'il existe chez les musulmans des ordres religieux, et qu'ils sont répandus en Algérie. Parmi les zaouias kabyles, un petit nombre seulement compte des frères (kouan); nous en dirons néanmoins quelques mots.

L'ordre le plus répandu de beaucoup est celui de Sidi-Mohammed-Ben-Abd-er-Rhaman, bou kobereïn (1).
Ce surnom est fondé sur une légende merveilleuse, quoiqu'assez récente. Sidi Mohammed venait de mourir et de recevoir la sépulture dans le Jurjura, lorsque des habitants d'Alger, où ses vertus étaient en grand renom, allèrent prier la nuit sur sa tombe. On négligea de les surveiller, et ceux-ci, par une fraude pieuse, s'approprièrent le corps du marabout qu'ils vinrent déposer près de la route du Hammà, un peu avant d'arriver au Café des Platanes, au lieu où s'élève aujourd'hui la koubba de ce marabout. Mais bientôt la rumeur publique apprit cet évènement aux Kabyles; ils en conçurent une indignation terrible, et de longues vengeances se seraient sans doute exercées, quand on leur donna le conseil d'ouvrir la tombe qu'ils possédaient chez eux. Ils l'ouvrirent, et, chose miraculeuse, les restes du marabout s'y trouvèrent aussi.

Les derkaouas ou révoltés sont les puritains de l'islamisme, en révolte, en lutte perpétuelle contre l'autorité des sultans, contre la hiérarchie sociale, Dans la Kabylie on les trouve surtout près de Zamora chez les Beni-Yala. Leur chef est un homme important, Hadj-Moussa bou hamar (maître de l'âme), que nous verrons plus loin entrer en lutte contre l'émir.

 

(1) Bou veut dire père, maître, possesseur. Bou kobereïn, qui a deux tombes.

 
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