L'anaya est le sultan des Kabyles
; aucun sultan au monde ne lui peut être comparé ; il fait
le bien et ne prélève point d'impôt. Un Kabyle abandonnera
sa femme, ses enfants, sa maison, mais il n'abandonnera jamais
son anaya.
Tels sont les termes passionnés dans lesquels le Kabyle
exprime son attachement pour une coutume véritablement
sublime, qu'on ne trouve chez nul autre peuple.
L'anaya tient du passeport et du sauf-conduit tout
ensemble, avec la différence que ceux-ci dérivent
essentiellement d'une autorité légale, d'un pouvoir
constitué, tandis que tout Kabyle peut donner l'anaya ; avec
la différence encore, qu'autant l'appui moral d'un préjugé
l'emporte sur la surveillance de toute espèce de police,
autant la sécurité de celui qui possède l'anaya, dépasse
celle dont un citoyen peut jouir sous la tutelle ordinaire des
lois.
Non seulement l'étranger qui voyage en Kabylie sous la
protection de l'anaya défie toute violence instantanée, mais
encore il brave temporairement la vengeance de ses ennemis, ou
la pénalité due à ses actes antérieurs. Les abus que
pourraient entraîner une extension si généreuse du principe
sont limités, dans la pratique, par l'extrême réserve des
Kabyles à en faire l'application.
Loin de prodiguer l'anaya, ils le restreignent à leurs
seuls amis ; ils ne l'accordent qu'une fois au fugitif ; ils
le regardent comme illusoire s'il a été vendu ; enfin ils en
puniraient de mort la déclaration usurpée.
Pour éviter cette dernière fraude, et en même temps pour
prévenir toute infraction involontaire, l'anaya se manifeste
en général par un signe ostensible.
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