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Trois années s'écoulèrent sans
que la France parut avoir à cœur de venger ni la mort d'un
caïd investi par elle, ni l'insulte faite à son pavillon, et
les Bougiotes durent en concevoir un certain mépris de sa
puissance. Leur conduite du moins le prouva. En 1831, ils
égorgèrent l'équipage d'un brick de l'État qui avait fait
naufrage sur leur côte. En 1832, le Procris, brick
anglais, fut insulté devant Bougie et contraint de prendre le
large. Au mois d'octobre de la même année, le Marsouin,
brick de guerre français, étant au mouillage dans la rade, y
subit une attaque et dut répondre au feu des forts.
Les griefs du Procris prirent un caractère
inquiétant par la manière dont les exploita la diplomatie
britannique ; car elle annonça hautement que si le gouvernement
français ne savait pas faire respecter les pavillons amis sur
les côtes dont il revendiquait la possession, celui de
l'Angleterre prendrait à cet égard des mesures directes. On
vit dans ces paroles une menace d'occuper Bougie ; tentative
que l'extrême jalousie de nos rivaux ne rendait pas
invraisemblable, et qui eût entraîné tôt ou tard les
conflits les plus graves.
Bougie était signalée d'ailleurs comme un centre
d'intrigues, où figuraient le nom d'Hussein-Dey et celui,
beaucoup plus dangereux, d'Ahmed, bey de Constantine, qui
maintenait encore le drapeau turc dans presque toute la
région de l'est.
Ce fut aussi sur une intrigue que le duc de Rovigo, alors
gouverneur-général de l'Algérie, essaya d'abord de baser
ses projets de conquête.
Le chef d'une grande famille kabyle, dont l'influence
s'exerçait sur des tribus voisines de Bougie. Si
Saâd-Oulid-ou-Rabah, était un homme habile, astucieux et
intéressé. Il pressentait dans le fait de l'occupation
française, l'avenir d'un grand commerce avec
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Alger ; et les immenses profits
à en tirer, par la méthode orientale du monopole,
s'offraient naturellement à son esprit. Deux personnage d'une
moindre importance, s'associèrent à ses projets : le sieur
Joly négociant français établi à Alger, et le maure
Boucetta, capitaine du port à Bougie. Leur entrée en
relations s'explique par l'entremise des Kabyles qui n'avaient
pas discontinué de fréquenter individuellement Alger. Quant
à leur plan, il était simple : Bougie aurait été ouvert au
commerce français, et le sieur Joly, nommé consul, avec
l'appui d'un stationnaire ou même d'une petite garnison dans
l'un des forts, eût reçu, par l'intermédiaire de Boucetta,
tous les produits de la contrée kabyle, qu'aurait fait
arriver Si Saâd-Oulid-ou-Rabah.
A supposer que l'influence du chef kabyle eût réellement
suffi pour installer sans coup férir notre consul, et assurer
nos transactions, il restait à mettre en balance les
inconvénients d'un monopole avec les avantages
problématiques d'une position qui n'était ni la conquête,
ni même une influence à l'abri de toute vicissitude. Au
reste, ces projets furent bientôt abandonnés ; nous ne les
avons exposés que pour faire connaître l'inconstance, le
tâtonnement et l'excentricité qui caractérisaient alors les
conseils du pouvoir.
Le plan d'une conquête proprement dite exigeait d'autres
renseignements que ceux de Boucetta et d'Oulid-ou-Rabah. D'une
part, on pouvait en suspecter un peu la véracité, surtout en
ce qui concernait leur influence personnelle ; d'une autre,
l'ignorance où ils étaient de nos moyens d'attaque, les
rendait fort inaptes à nous éclairer sur les difficultés
réelles de l'entreprise. Un jeune officier des zouaves, le
capitaine de Lamoricière, alors chef du bureau arabe d'Alger,
conçut l'idée audacieuse de faire lui-même une
reconnaissance des lieux. Boucetta, qui d'ailleurs était
homme de tête et d'exécution, s'offrit pour le conduire.
Ils s'embarquèrent tous les deux à bord du brick le Zèbre
et
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