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mais ce rapport, en constatant le mauvais état sanitaire et les grandes fatigues de nos troupes, ne conclut point à l'abandon du poste. Toutefois, l'incertitude continua de peser sur les esprits, et peut-être contribua-t-elle à l'inaction momentanée du commandant supérieur. N'était-ce pas assez de défendre avec intrépidité une position que l'on pouvait abandonner d'un jour à l'autre? Fallait-il sacrifier en outre beaucoup d'hommes, pour frapper au loin des coups dont on avait la presque certitude de ne recueillir aucun fruit? Ce qui donnerait une certaine valeur à l'observation précédente, c'est que les derniers mois de commandement du colonel Duvivier furent marqués par un retour sensible à ses premiers principes d'offensive, et que ce retour suivit immédiatement le passage à Bougie du nouveau gouverneur, le comte d'Erlon, qui, le 2 novembre, visita la place et les ouvrages avancés, prescrivit l'abandon du camp inférieur, comme trop malsain, mais accueillit quelques autres projets défensifs, et, en somme, se prononça pour le maintien de l'occupation.

A la première occasion qui suivit cette visite, c'est. à-dire le 5 décembre, jour où les Kabyles, au nombre d'environ 2,500, parurent dans la plaine et sur les hauteurs de Demous, le commandant supérieur sortit avec 1200 hommes, fit charger tout ensemble la cavalerie et l'infanterie, et poussa l'ennemi jusqu'au fond de la plaine, pendant plus d'une lieue. On s'arrêta sur le gradin inférieur du col de Thisi, et la rentrée en ville s'opéra sans qu'aucun ennemi parut.

Trois jours après, l'initiative vint de nous : notre colonne traversa la plaine et fit de l'autre côté une reconnaissance des deux rives de la Summam. Les habitants surpris, s'enfuirent de toutes parts ; mais on négligea de frapper leurs habitations les plus proches, et l'on se remit en marche sur Bougie après une simple inspection des lieux. Ce mouvement exécuté avec lenteur, puisqu'on ne rentra qu'à la nuit, détermina tous les 

    

 

   
guerriers kabyles à venir engager sur nos derrières une vive fusillade. 

Toutefois, comme la retraite en échelons s'effectuait avec ordre et sous la protection de l'artillerie, on n'eût éprouvé presqu'aucune perte sans la méprise de deux compagnies du bataillon d'Afrique, qui se compromirent elles-mêmes. Malgré tout, il n'y eut que vingt-deux blessés ; l'ennemi en compta davantage, et d'ailleurs un grand résultat était atteint , celui de faire comprendre que tous les villages kabyles situés dans un rayon de plusieurs lieues, se trouvaient réellement à notre discrétion.

Malheureusement, les choses ne furent pas vues ainsi d'Alger : l'opération y fut peu accueillie, comme trop excentrique et n'ayant pas un but assez déterminé. Ce jugement sévère dut empêcher d'autres tentatives analogues. On ne peut s'empêcher de remarquer ici l'influence des temps : aujourd'hui de semblables démonstrations encourraient le reproche contraire, celui d'une excessive timidité ; aujourd'hui l'on s'étonnerait qu'une garnison pouvant mettre habituellement 5,000 hommes sous les armes, fût serrée de si près par des tribus kabyles qui même dans leurs plus forts rassemblements, ne lui auraient jamais opposé plus de 4,000 à 4,500 fusils.

Les mois de janvier, février, mars 1835, ne furent signalés par aucun évènement militaire. Un hiver rigoureux paralysait de chaque côté toutes les résolutions, et ce fut seulement au 1er mars, que le colonel Duvivier trahit sa volonté persévérante de dominer la plaine, par un grand déboisement qu'il ordonna jusque vers les hauteurs du col, et par l'ouverture d'un grand nombre de passages dans les ravins ou les fourrés. Au reste, les projets que semblaient annoncer de semblables préparatifs, restèrent ignorés, car un incident imprévu vint mettre fin au commandement de cet officier. 

 
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