|
Dès le premier jour de la
conquête; on s'était empressé d'établir à Bougie un
sous-intendant civil, qui dut bientôt changer ce titre
ambitieux contre celui de commissaire du roi près de la
municipalité : municipalité imaginaire d'ailleurs, aussi
bien que les fonctions du délégué royal. Le bénéficiaire
de cette sinécure imagina, sans doute pour se rendre utile,
d'entrer en relations avec Si Saâd-Oulid-ou-Rabah, par
l'intermédiaire du bougiote Medani. Le 27 mars, il s'embarqua
en compagnie de ce dernier sur un canot du port, pour aller à
un rendez-vous du chef kabyle. La conférence commençait à
peine sur les grèves, à l'embouchure de la Summam, qu'elle
fut interrompue à coups de fusils par des Kabyles
opposants. Une petite collision s'en suivit, et les gens d'Oulid-ou-Rabah
coupèrent deux ou trois têtes à leurs agresseurs. Pendant
ce temps, le commissaire royal, fort effrayé, regagnait à la
nage son embarcation et, malgré les instances du cheikh qui
lui montrait comme preuve de sa bonne foi, les trophées
sanglants du combat, il n'en voulut entendre ni voir davantage.
Or le théâtre de cette conférence avortée, se trouvait,
comme on sait, sous les yeux de Bougie. On en distingua
parfaitement tous les détails ; le commandant supérieur en
fut instruit de suite ; il fit courir une embarcation
au-devant de celle qui rentrait, et le négociateur fut
conduit à bord du Liamone, brick-stationnaire, comme
inculpé d'intelligences illégales avec l'ennemi, crime que
nos lois punissent de la peine de mort.
Mais l'étonnement devint extrême, quand on eut de plus
amples informations. Il résulta, d'une lettre officielle, que
le gouverneur même avait autorisé directement cette
négociation clandestine, à l'insu du commandant supérieur.
La dignité de celui-ci, les moindres notions politiques ou
militaires, ne pouvaient être méconnues plus gravement. Le
pis fut qu'on persévéra dans cette voie, et qu'on sacrifia
tous les principes à l'espoir d'un traité de paix
quelconque. Le colonel du génie Lemercier vint à Bougie avec
la mission spéciale d'en poser les bases.
|
|
|
|
|
Ici, on ne sait vraiment pas ce
qu'il faut admirer davantage, de l'insolence du chef kabyle
qui exigea pour première condition le rappel du colonel
Duvivier, ou de la faiblesse du gouverneur français qui put
prêter l'oreille à une ouverture semblable. Grâce au ciel,
l'apparence fut un peu sauvée ; sur ces entrefaites, le
commandant supérieur qui blâmait la négociation dans le
fond comme dans la forme, et dont la susceptibilité se
trouvait fortement émue, demanda du service en France. Il
remit, le 11 avril, le commandement provisoire de Bougie au
colonel Lemercier, et quitta cette ville le 14, après un
séjour de dix-huit mois, qui avait profité singulièrement
à sa renommée militaire. |
|
IV. |
|
Dans l'intervalle. c'est-à-dire
le 12 avril, avait été conclu le traité de paix avec Si
Saâd-Oulid-ou-Rabah (1). Ce traité qui ne reçut jamais une
ombre d'exécution, restera comme un monument curieux
d'ignorance en ce qui concerne les mœurs, la politique et le
gouvernement kabyles. Douze jours après sa signature, (24
avril), une agression nouvelle avait lieu, et l'on hésitait
presque à la repousser, s'imaginant qu'elle ne pouvait venir
que d'un malentendu. Le surlendemain (26 avril), ce sont trois
hommes isolés qui sont surpris et massacrés. Au milieu du
mois suivant, tentatives nocturnes autour de la maison
crénelée, qui aboutissent à la mort du cheikh Ou-Bellil.
Les Mzaïas réclament son cadavre, et obligent la garnison à
diriger une sortie contre eux.
Le marché qui devait s'ouvrir aux portes de Bougie ; et
sur lequel on fondait des rêves chimériques d'influence, ce
marché n'est jamais tenu. Enfin, l'auteur même du traité,
appréciant mieux la situation militaire comme commandant
supérieur, qui il n'avait entrevu, en qualité de
plénipotentiaire, la question politique, donna la mesure de
la confiance que cette pacification lui inspirait, en prenant
pour la garde du troupeau des précautions inouïes,
|
|
(1) Voir la note
C. |
|
|