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l'est de la Mitidja ; ils furent bien autrement graves dans la province d'Oran, qui renfermait des populations plus riches et plus belliqueuses, dont quelques-unes, en qualité de maghzen des Turcs, avaient souvent pillé ou combattu les autres. Le jour de la vengeance luisait enfin pour ces dernières ; chez toutes, les instincts de guerre et de cupidité naturels à l'Arabe se réveillèrent au premier signal. Les brigandages, les violences, l'anarchie ne connurent bientôt plus de bornes.

Ici, le neveu du sultan marocain assiégeait Tlemcen défendu par les Courouglis, puis un hadar (1) investi du firman de Muley Abd-er-Rhaman, cherchait à s'y rendre le maître et assiégeait ses ennemis dans le Méchouar. A Mascara, les hostilités éclataient entre les faubourgs et la ville ; on se disputait le contenu des magasins et 130 beaux chevaux qu'avaient laissés les Turcs. Les Hachems demandaient qu'on leur livrât les Mozabites et les Juifs ; ils détruisaient les jardins, coupaient les arbres, abattaient la maison du Bey, aux portes de la ville. Mêmes excès dans les petites cités du Dahra de l'Ouarencenis, à Mazouna, à Kalâ ; mêmes excès partout. Enfin, Oran était troublé par la tentative ridicule du bey tunisien, auquel la France venait de déléguer une autorité qui ne lui appartenait pas encore et que son mandataire n'avait aucun moyen de réaliser.

Il fallait une conduite habile pour maintenir son influence intacte au milieu d'un tel bouleversement. La famille Mahy-ed-Din faillit, dès le principe, compromettre la sienne par une démarche impolitique. L'ancien bey d'Oran, ne sachant où fuir, avait demandé un asile précisément à ceux qui lui faisaient ombrage quelques années auparavant, et cette faveur ne lui fut refusée que sur les vives représentations du jeune Abd-el-Kader, seul opposant parmi tous les membres de la famille, mais opposant 

 
 

(1) Hadar, habitant de la ville, mais d'origine arabe, par opposition aux Courouglis, de race turque.

    

 

   
si convaincu, si adroit à faire ressortir la faute impardonnable d'une alliance avec les Turcs oppresseurs et déchus, que tout le monde finit par se ranger à son avis.

Bientôt, par suite de la renonciation du bey tunisien, les troupes françaises occupèrent Oran. La guerre s'était allumée entre elles et les tribus arabes. Dans ces combats du commencement de 1832, le jeune Abd-el-Kader se distingua par son sang-froid et son audace ; il eut son cheval tué sous lui près du fort Saint Philippe, et sa réputation ne cessa de grandir.

Le père, de son côté, tenait le premier rang parmi les hommes sages, en dehors de tous les partis, effrayés des malheurs publics et se dévouant à y porter remède. Ce remède bien connu, mais difficile à rencontrer, consistait dans le choix d'un chef unique, assez vigoureux pour briser toutes les résistances provenant de mauvaises passions. On savait en effet que, semblable à son coursier, l'Arabe a besoin d'un maître qui sache manier avec une égale hardiesse le mors et le chabir (1).

Les chefs des trois plus grandes tribus de la province, Hachems, Beni-Amer et Garabas, poussés à bout par la misère publique, se réunirent dans la plaine d'Eghrës, avec l'intention de prendre un parti définitif ; ils offrirent le pouvoir à Mahy-ed-Din, pour lui-même ou pour son fils Abd-el-Kader, disant qu'ils le rendraient responsable devant Dieu des maux qui pourraient résulter de son refus.

Se sentant maître de la situation, Mahy-ed-Din l'exploita très-habilement par une suite de refus et de délais bien calculés. Les instances se renouvelèrent avec d'autant plus d'énergie ; enfin, un marabout célèbre, âgé de cent-dix ans, Sidi El-Aratch,

 

(1) Chabir, éperon des Arabes. C'est une tige de fer pointue, dont le cavalier laboure les flancs ensanglantés de son cheval.

 
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