|
appuya ses sollicitations sur le
récit d'un songe qu'il avait eu, où le jeune Abd-el-Kader
lui était apparu sur un trône et rendait la justice. Or,
cette même vision s'était offerte à Mahy-ed-Din, et de plus
Abd-el-Kader-el-Djelali, le grand marabout de Bagdad, était
venu lui rappeler son ancienne prédiction, ajoutant que si
lui, Mahy-ed-Din, acceptait le pouvoir, son fils ne vivrait
pas, et qu'au contraire s'il lui abandonnait la place, ce
serait lui-même, qui mourrait bientôt.
Vaincu par tant de preuves de la volonté céleste,
Mahy-ed-Din fit appeler son fils et lui demanda comment il
entendait l'exercice du pouvoir et de la justice. Abd-el-Kader
lui répondit :
" Si j'étais sultan, je gouvernerais les Arabes avec
une main de fer, et si la loi ordonnait de faire une saignée
derrière le cou de mon propre frère, je l'exécuterais des
deux mains. "
A ces mots Mahy-ed-Din annonça solennellement sa fin
prochaine, prit son fils par la main, et sortant avec lui de
la tente qu'entourait une foule inquiète, il s'écria :
" Voilà le fils de Zohra, voilà le sultan qui vous est
annoncé par les prophètes ! "
Aussitôt s'élevèrent des acclamations unanimes. La
musique des anciens beys fut amenée de Mascara, pour donner
plus d'éclat à la fête de l'avènement, et d'innombrables
cavaliers la célébrèrent par leurs fantasias. Cette scène
se passait à Gresibia, le 22 novembre 1832. Le héros en
était un jeune homme de vingt-huit ans, au front pâle, au
regard inspiré, au vêtement simple, à la physionomie
majestueuse. Il montait un cheval magnifique et toute sa
richesse numéraire consistait en quatre oukyas (1 fr. 25
cent.) noués dans un coin de son haïkh, à la manière des
Arabes. Un chef l'en plaisanta et il répondit en riant :
" Dieu m'en donnera d'autres. " En effet, on vint de
toutes parts lui offrir des cadeaux magnifiques ; le soir
même, sa maison était montée convenablement, et le
lendemain, quand il entra dans Mascara,
|
|
|
|
|
les Mozabites et les Juifs,
frappés d'une contribution, lui livrèrent 20,000 boudjous.
L'éclat d'un si beau jour n'éblouit point le jeune
Abd-el-Kader.
Trois tribus l'avaient proclamé, une seule peut-être avec
un dévouement inaltérable parce qu'il en était sorti.
" Les autres, disait Mahy-ed-Din, sont mes habits ; les
Hachems sont ma chemise.
Or, quelle oeuvre n'était-ce pas de rallier successivement
toutes les populations algériennes, en faisant taire et leurs
rivalités, et les prétentions de leurs chefs, et tant de
haines, et tant d'amours-propres ; mobiles essentiellement
contraires à la création d'une vaste unité nationale.
Cependant il y en avait un autre, mais un seul, capable de
contrebalancer tous ceux-ci : c'était la guerre sainte.
A peine entré dans Mascara, Abd-el-Kader se rend droit à
la mosquée. Là, dans un sermon fort habile, il réclame la
paix et la soumission de tous les Musulmans, au nom de la
guerre sainte qu'il s'engage à conduire avec la plus grande
énergie. Puis, il entre dans l'akouma (1), écrit à
toutes les tribus pour leur apprendre son élévation au
pouvoir et le saint emploi qu'il veut en faire ; il leur nomme
des chefs choisis parmi les membres de leurs grandes familles,
dont il redoute le moins les dispositions personnelles, et
envoie des présents magnifiques au sultan du Maroc. Afin de
s'en ménager l'appui, le jeune chef prenait seulement dans
les prières publiques le titre de khalife. Cette politique
lui réussit : Abd-er-Rhaman ne tarda point à ratifier
l'élection du peuple, et comme chef de la religion,
prescrivit d'obéir au chef de la lutte religieuse contre les
infidèles.
|
|
(1) Akouma : chambre du conseil.
|
|
|