Mais bientôt les courriers qui
avaient sillonné toute la province, rapportaient à leur
maître les réponses des diverses tribus, et toutes
s'accordaient à le réveiller tristement de son beau rêve ;
toutes annonçaient un grand respect pour les brillantes
qualités d'Abd-el-Kader et la sainteté de Mahy-ed-Din, mais
toutes lui refusaient ouvertement l'obéissance.
Le nouveau sultan avait donc son royaume à conquérir
presqu'en entier avec trois tribus seulement. Il se mit de
suite à l'œuvre, évitant d'attaquer d'abord les plus
puissantes, telles que les Douers et les Smelas, placées sous
l'influence d'El-Mezary et du fameux Mustapha-ben-Ismaël ;
telles que les Flittas et les Arabes de la Mina, dont le chef
illustre, Si Laribi, avait rejeté le titre de son khalife ;
il crut pouvoir se hasarder contre les Kabyles du Riou, et
échoua même dans cette tentative secondaire. Mais
infatigable, il finit par enlever, sur l'Habra, le caïd des
Bethyouas qu'on accusait de vendre des chevaux aux chrétiens,
et il le fit périr dans les supplices. Cet acte de vindicte
publique, joint à la capture de 4,000 chevaux, releva
considérablement ses forces morales et matérielles. Bientôt
les Arabes s'émurent au bruit de sa sagesse, de sa piété,
de ses mœurs austères, à l'aspect de la bonne
administration qu'il mettait en vigueur à Mascara, de la
justice impartiale et sévère qu'il déployait en toute
occasion. Si l'on avait contesté l'empire universel à l'élu
de quelques tribus, on sentait peu à peu l'importance d'y
laisser parvenir celui qui se montrait, à l'œuvre, digne en
effet de commander sur tous.
Néanmoins Abd-el-Kader se fût épuisé en longs efforts
avant de réaliser ces vagues promesses de l'opinion publique,
s'il n'avait su trouver dans ses ennemis mêmes les artisans
de sa fortune. Il en jeta les bases réelles par son traité
avec le général Desmichels qui commandait les Français à
Oran : ce fut là le chef d'œuvre de sa politique, et le
triomphe le plus complet de l'astuce barbare sur l'ignorance
civilisée.
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