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Mais bientôt les courriers qui avaient sillonné toute la province, rapportaient à leur maître les réponses des diverses tribus, et toutes s'accordaient à le réveiller tristement de son beau rêve ; toutes annonçaient un grand respect pour les brillantes qualités d'Abd-el-Kader et la sainteté de Mahy-ed-Din, mais toutes lui refusaient ouvertement l'obéissance.

Le nouveau sultan avait donc son royaume à conquérir presqu'en entier avec trois tribus seulement. Il se mit de suite à l'œuvre, évitant d'attaquer d'abord les plus puissantes, telles que les Douers et les Smelas, placées sous l'influence d'El-Mezary et du fameux Mustapha-ben-Ismaël ; telles que les Flittas et les Arabes de la Mina, dont le chef illustre, Si Laribi, avait rejeté le titre de son khalife ; il crut pouvoir se hasarder contre les Kabyles du Riou, et échoua même dans cette tentative secondaire. Mais infatigable, il finit par enlever, sur l'Habra, le caïd des Bethyouas qu'on accusait de vendre des chevaux aux chrétiens, et il le fit périr dans les supplices. Cet acte de vindicte publique, joint à la capture de 4,000 chevaux, releva considérablement ses forces morales et matérielles. Bientôt les Arabes s'émurent au bruit de sa sagesse, de sa piété, de ses mœurs austères, à l'aspect de la bonne administration qu'il mettait en vigueur à Mascara, de la justice impartiale et sévère qu'il déployait en toute occasion. Si l'on avait contesté l'empire universel à l'élu de quelques tribus, on sentait peu à peu l'importance d'y laisser parvenir celui qui se montrait, à l'œuvre, digne en effet de commander sur tous.

Néanmoins Abd-el-Kader se fût épuisé en longs efforts avant de réaliser ces vagues promesses de l'opinion publique, s'il n'avait su trouver dans ses ennemis mêmes les artisans de sa fortune. Il en jeta les bases réelles par son traité avec le général Desmichels qui commandait les Français à Oran : ce fut là le chef d'œuvre de sa politique, et le triomphe le plus complet de l'astuce barbare sur l'ignorance civilisée.

 

    

 

   
 

CHAPITRE V.(1)

 

 
ABD-EL-KADER EN KABYLIE.
 

 
I. Premières tentatives. - II. Razzia des Zouathnas.
- III. Ben-Salem Khalifa. - IV. Embarras de son gouvernement.
- V. Abd-el-Kader chez les Zouaouas.
 
On imagine quel horizon durent ouvrir devant Abd-el-Kader les discours d'un chef religieux et de grande famille, venant de Cheurg (Orient), sur le seul bruit de sa renommée, pour lui offrir une extension d'autorité que ses rêves les plus audacieux n'auraient pu jusqu'alors embrasser sans folie. Il était homme à ne reculer devant aucun enjeu de la for tune. Sultan proclamé de la veille ; et par trois tribus seulement du Gharb (ouest), contesté partout ailleurs, avec beaucoup d'ennemis sur les bras, et le poids de la guerre sainte en lui personnifiée, il n'hésita cependant pas à recevoir comme souverain la visite de Ben Mahy-ed-Din, de ses parents et des chefs de tribus qui l'avaient escorté. Il leur annonça hautement sa mission providentielle de fonder un empire musulman. Il l'imprima dans leur esprit à force d'éloquence et de conviction. Enfin, après s'être engagé à faire prochainement une tournée chez eux, il les renvoya chargés de circulaires qui réclamaient partout l'obéissance envers le nouveau sultan des Arabes, en menaçant de peines très-sévères tous ceux qui, dans un délai de six mois, ne l'auraient point reconnu et proclamé.

 

(1) Dans ce chapitre et les suivants, des discours, des extraits de lettres arabes se trouvent fréquemment mêlés au récit. Nous croyons devoir prévenir nos lecteurs que toutes ces citations reposent, soit sur le dire de témoins auriculaires, soit sur des pièces originales qui sont ou ont été entre nos mains.

 
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