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III.

 
Après avoir frappé ce coup retentissant aux portes de la vallée du Sebaou, Abd-el-Kader en attendit l'effet ; il demeura tranquille, près de Bouzequeza, sous prétexte de rétablir le bon ordre dans la contrée. Au fond, il redoutait d'en venir à une rupture ouverte avec ces grandes tribus, réellement kabyles, qui auraient pu se confédérer contre lui, telles que les Ameraouas, les Flissas, etc.

Il espérait que la peur inspirée par le châtiment des Zaouathnas, et l'inquiétude résultant de sa présence prolongée lui amèneraient d'abord une ou plusieurs fractions irrésolues, et qu'alors d'habiles ménagements pourraient les lui soumettre, puis en attirer d'autres de proche en proche.

Tout se passa comme il l'avait prévu. Les Ameraouas vinrent d'eux-mêmes à son camp, lui conduisant, en signe d'obéissance, cent-cinquante mulets chargés de figues, de raisins secs, d'huile et de cire, pour les besoins de son armée. Alors, Abd-el-Kader profita de l'occasion pour leur adresser des reproches sur le peu d'assistance qu'ils avaient prêté à son khalifa.

Les Ameraouas, sans chercher d'autre excuse, lui re pondirent qu'El-Hadj-Ali-ould-si-Sâadi était un homme nul, dont la charge de khalifa dépassait également et les moyens et la naissance.

" Puisqu'il en est ainsi, reprit Abd-el-Kader, choisissez donc vous-mêmes l'homme digne de vous commander. Je lui confierai le pouvoir, vous lui obéirez comme à moi-même. "

Cette offre honorable fait voir quelle importance il attachait à l'adhésion sincère des Ameraouas ; c'est qu'en effet leur position topographique le conduisait, au moins par des relations commerciales, dans le cœur de la Kabylie.

    

 

   
Deux chefs, avons-nous dit ailleurs, se partageaient l'obéissance de cette riche tribu : Bel-Kassem-ou-Kassy et Aômar-ben-Mahy-ed-Din. Abd-el Kader offrit au premier le commandement du Sebaou : il en essuya un refus. Ben-Kassem-ou-Kassy déclara qu'en présence des infidèles, et au moment de recommencer la guerre sainte, le premier rôle devait appartenir aux marabouts et aux chérifs ; qu'en conséquence, il se contenterait du second rang, et verrait avec joie remettre le pouvoir aux mains de Sid Hamed-ben-Salem, appartenant à la noblesse religieuse. Cet avis désintéressé obtint l'assentiment public. Aussitôt l'émir fit appeler Sid-Hamed-ben-Salem, le reconnut khalifa du Sebaou, le revêtit d'un burnous magnifique, et fit jouer la musique en son honneur.

Rien ne semblait mieux servir les intérêts d'Abd-el Kader qu'une semblable combinaison. D'un côté, les Ameraouas, satisfaits de l'offre faite à leur principal chef, devaient considérer sans jalousie et comme leur propre ouvrage, le choix de Ben-Salem ; d'une autre part, l'élévation de celui-ci ne flattait pas moins l'amour-propre des Beni-Djâd des Mettenems dont il était sorti.

Il ne restait plus à régler que des détails d'organisation. Abd-el-Kader, toujours jaloux de complaire aux Ameraouas, se garda bien de prononcer entre leurs chefs rivaux. Pour les contenter l'un et l'autre, il divisa le pays en deux agaliks, celui des Fouakas et celui des Tehatas, qui, selon leur tendance naturelle, échurent le premier à Bel-Kassem-ou-Kassy, le second à Aômar-ben-Mahy-ed-Din.

Dès son entrée en Kabylie, Abd-el-Kader avait lancé des lettres fort pressantes au chef de la grande tribu des Flissas. Il s'était bien gardé d'employer les menaces envers un homme trop puissant et hors de ses atteintes : c'était au nom de la religion, au nom de la guerre sainte, qu'il l'avait sommé pieusement de lui apporter son concours, et Ben-Zamoun s'était rendu. Nous avons déjà mentionné sa présence dans le camp de l'émir : il y reçut 

 
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