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Six mois lui suffirent en effet pour arriver au sein du Tittery ; car il cheminait sûrement, à l'ombre de son traité avec le général Desmichels , et même il en violait impunément les stipulations les plus formelles, sans lasser la patience du gouverneur-général, comte d'Erlon. Ce fut ainsi qu'après avoir vaincu et subjugué les tribus du Chétif, il arriva devant El-Cantara, osa franchir le pont et entrer dans Milianah, dont les habitants l'accueillirent avec des transports d'enthousiasme. Il commença de suite l'organisation du pays, en s'appuyant sur deux grands chefs, El-Adj-Sghir et Mohammed-ben-Aïssa-el Berkani, ce dernier d'une famille illustre. Mais tandis qu'il fondait sa puissance dans l'ouest du Tittery, un orage se formait à l'est.

Abd-el-Kader, à cette époque, jouait encore un double rôle : d'une part, il était engagé dans une alliance avec les chrétiens ; de l'autre il se posait, en toute circonstance comme le champion de la foi et la futur expulseur des infidèles. Beaucoup d'Arabes attendaient patiemment l'issue de cette astucieuse politique, sans douter que le mobile religieux ne fût sincère ; mais, d'une attitude suspecte naissent toujours quelques embarras passagers. Un sectaire fougueux, dont le zèle s'accommodait mal de ces tempéraments habiles, Si Moussa-bou-Hamar (le maître de l'âme), que nous avons déjà cité comme un chef important des Derkaouas, et qui, en cette qualité, ne s'attaquait guère plus aux infidèles qu'aux sultans de toute espèce, Si Moussa venait d'exciter, dans le fond du Tittery ; un soulèvement général ; il s'était emparé de Médéah, et menaçait ouvertement Abd-el-Kader. Celui-ci vint à sa rencontre. Les deux ennemis se livrèrent bataille près de Haouch-Amouze, sur le territoire des Soumatas. Moussa, complètement battu, s'enfuit dans le désert. Ses femmes, ses bagages, étaient tombés au pouvoir du vainqueur, qui les lui renvoya généreusement, après être entré en triomphe dans la ville de Médéah.

Dès lors, et par suite des ouvertures antérieures de Si Mohammed-ben-Mahy-ed-Din, la province de Tittery se trouvait 

    

 

   
entièrement conquise jusqu'aux limites du pays kabyle.

Abd-el-Kader en donna le commandement à Si Mohamned-ben-Aïssa-el-Berkani avec le titre de son khalifa. Quant à Ben Mahy-ed-Din, il fut nommé seulement agha de la cavalerie des Beni Slymans. Cette part lui sembla trop faible, ce rang trop secondaire ; il n'en fallut pas davantage pour jeter dans son âme le premier germe d'une irritation vivace contre, le maître ingrat qu'il était allé chercher si loin.

Sous l'empire d'un tel sentiment, Ben Mahy-ed-Din ne tarda point, à se brouiller avec El-Berkani. Celui-ci le dénonça à l'émir comme un homme très dangereux, obtint l'autorisation de le faire arrêter avec toute sa famille et de l'interner à Médéah. Il en résulta pour Ben Mahy-ed-Din une sorte de captivité qui dura neuf mois, et se fût sans aucun doute prolongée bien davantage si le khalifa n'eût été contraint d'avouer son impuissance à maintenir la tranquillité chez les Beni-Slymans, et de leur restituer, sur l'ordre d'Abd-el-Kader, le seul chef capable de les commander. Ces traverses avaient encore aigri bien davantage les ressentiments du jeune agha ; mais déjà trop habile pour en laisser rien soupçonner, il parut déployer, au service de l'émir, le même zèle qu'auparavant. Dissimulation prudente, car la puissance du maître atteignait en ce moment son apogée.

Une nouvelle période de guerre sainte venait d'embraser tout le Gharb, et, quoiqu'entrecoupée de succès et de revers, elle avait mis le comble à la réputation d'Abd-el-Kader. L'amour-propre national, ingénieux à se flatter, devint son auxiliaire enthousiaste : on l'appelait sultan depuis la frontière du Maroc jusqu'à l'extrémité du Tittery ; enfin, les Français même lui décernèrent, dans le traité de la Tafna, le titre d'Emir-el-Moumenin, commandeur des croyants.

En paix avec le chrétien, il appliqua toutes ses vues aux moyens 

 
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