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Ben-Salem obéit avec joie,
recruta promptement six cents hommes parmi les pauvres des
tribus ; puis, trop confiant dans cette petite troupe, revint
camper à l'Arbâ (1) des Beni-Khalfoun, où il avait été si
mal reçu. Sa nouvelle démonstration n'effraya pas davantage
les montagnards : ils se bornèrent à l'inquiéter, à le
voler toutes les nuits, et force lui fut de battre en retraite
une seconde fois.
Mais alors, ayant reconnu qu'un simple bataillon et
quelques cavaliers ne pouvaient imposer qu'à des tri bus
très-faibles ou situées en pays ouvert, il se replia sur
Bordj-Menaïel, dans la vallée facile de l'Isser, et réclama
de ses habitants l'achour, la zeccat, enfin quelques parcelles
de la maouna qui n'étaient point encore rentrées. Non
seulement il les obtint, mais cet exemple de soumission fut
d'un très-bon effet en sa faveur. Peu de temps après, ayant
rendu publique une lettre de l'émir qui l'appelait pour
verser, conjointement avec les autres khalifes, le produit de
ses contributions diverses, il prescrivit à toutes les tribus
de lui livrer pour le sultan des présents, des chevaux de
gadâ, etc. On eut hâte d'obéir dans cette occasion
solennelle ; ce furent même les Ameraouas qui fournirent les
plus riches cadeaux.
L'émir avait dressé ses tentes à Bourerchefa, près de
Miliana : il y préparait une scène ingénieusement conçue
pour le grandir aux yeux des populations. Là, devaient
accourir ses khalifas, ses aghas les plus éloignés ; là
devait s'établir, entre leurs diverses offrandes, une
comparaison propre à stimuler l'amour-propre de tous ; là
devaient apparaître, aux yeux étonnés des Arabes, ces chefs
kabyles, témoignages vivants d'une sou mission réputée
impossible ; et se sentant armé de trop justes griefs contre
eux, le souverain comptait encore rehausser son autorité par
les réprimandes sévères qu'il leur adresserait en public.
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(1) Arbâ pour souk-el-arbâ, marché
du quatrième jour, et, par extension, lieu où se tient ce
marché.
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Pour comble de malheur, Ben-Salem
n'apportait, comme total de toutes ses contributions, qu'une
somme de 60,000 fr., tandis que, le matin même du jour où il
les remit, Sid Ben-Allad-Ould-Sidi-Embarek, khalife de
Miliana, en avait versé 200,000. Abd-el-Kader eut les plus
grands égards pour Ben-Allal et reçut très-froidement
Ben-Salem. Les présents des Ameraouas demeurèrent deux jours
à l'abandon : personne ne paraissait vouloir s'en occuper.
Enfin l'émir les accepta, mais en profitant de l'occasion
pour témoigner tout son mécontentement à la tribu qu'il
accusait d'avoir mal secondé son khalifa. Ses regards
tombèrent alors sur l'un des deux aghas,
Aômar-ben-Mahy-ed-Din, qui était somptueusement vêtu et
portait de magnifiques armes.
Sous ce prétexte il lui reprocha, dans les termes les plus
durs, d'entretenir, avec les deniers publics, un luxe
scandaleux ; puis, comme Ben-Salem et celui-ci se renvoyaient
mutuellement les reproches de concussion, de mauvais vouloir
et de trahison, Abd-el-Kader mit fin à ces querelles, en
déclarant aux Ameraouas qu'il irait prochainement les visiter
lui-même pour examiner de près leur conduite. " Quant
à présent, ajouta-t-il, allez en paix ! " Leur groupe
commençait à s'écouler, quand lui-même se levant pour
mieux voir et mieux être vu, s'écria de nouveau : " Ne
vous supposez pas tellement redoutables que je ne puisse vous
atteindre. Je jure, par le Dieu maître du monde, que si vous
ne changez de conduite, rien ne pourra vous soustraire à mes
coups.
Leur compte était réglé ; celui de Ben-Salem ne se fit
point attendre. Tandis qu'il triomphait tout bas de la
disgrâce des Ameraouas, Abd-el-Kader le fixant tout-à-coup,
lui et son lieutenant : " Vous portez, leur dit-il, sur
vos visages le cachet des hommes impurs. Comment se fait-il
que vous laissiez croître à ce point vos moustaches, quand
vous savez que la loi maleki le défend. Loin de moi ! vous
ressemblez à des Turcs ou à des Courouglis. " En effet,
les moustaches longues et même démesurées étaient un signe
distinctif de ces deux races. Voilà surtout le motif pour
lequel l'émir avait cette mode en horreur.
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