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commencèrent à reconnaître sa partialité, s'éloignèrent de lui et firent même quelques démarches auprès de l'ancien khalifa Si Saâdi, se repentant déjà de l'avoir éloigné du pouvoir. Leurs mauvaises dispositions gagnèrent les Flissas, en sorte que Ben-Salem se trouva réduit, pour ainsi dire, à ses propres ressources. Les aghas Ben-Zamoun et Bel-Kassem lui restaient seuls, mais négligés, pour ce fait même, l'un de ses fantassins, l'autre de ses plus braves cavaliers.

Ben-Salem crut le cas assez grave pour en donner connaissance à l'émir. Celui-ci lui envoya de suite huit charges de poudre, vingt-six chevaux pour remonter son escorte, et écrivit aux Ameraouas dans ces termes : " Je vous avais recommandé mon khalife Ben-Salem ; vous-mêmes l'avez choisi pour votre chef. Cependant j'apprends que vous le négligez, que vous lui suscitez des embarras. Cette conduite est répréhensible ; changez la sur-le-champ, ou vous aurez à vous repentir d'avoir méprisé mes avis."

Les Ameraouas lui répondirent qu'ils avaient assisté loyalement Ben-Salem et l'avaient installé au Bordj de Sebaou ; mais que s'étant vus écartés de tous les emplois, pour faire place à d'autres, ils laissaient aux nouveaux amis du khalifa le soin de le maintenir désormais.

Apparemment Ben-Salem reçut de son maître quelques représentations à ce sujet ; car ayant à lever, par son ordre, un impôt sur toutes les tribus à titre de maouna ou subside pour la guerre sainte, ce fut aux Ameraouas qu'il confia le soin d'en faire la collecte. Pour comprendre cette faveur, il faut se reporter au mode de perception barbare que pratiquent en général les Musulmans, et dont le maghzen turc constituait peut-être l'application la plus régulière. Cela se réduit à affermer en quelque sorte un impôt entre les mains de tel chef ou de telle tribu considérable, qui taille et rançonne à merci la population 

    

 

   
tout entière, puis remet au sultan l'impôt fixé par lui, en bénéficiant du surplus. Bien souvent, ce surplus dépasse la taxe elle-même ; si le souverain l'apprend, s'il s'en indigne et s'il a les moyens d'y mettre ordre, les spoliateurs en sont quittes pour rendre gorge, dans le trésor royal, bien entendu. Voilà les anciens errements du fisc oriental.

Quoi qu'il en soit, la tribu des Ameraouas se montra peu sensible à la tardive bienveillance du khalifa. Tout en poussant sa perception qui produisit 45,000 francs, elle engageait en dessous main les Beni-Ouaguenoun et d'autres à tenter une attaque sur Bordj-Sebaou, si bien que Ben-Salem, ne s'y croyant plus en sûreté, se retira sur Bordj-el-Arib, au-dessus des Beni-Djâd, sous prétexte de mettre ce fort en bon état.

Cependant le malheureux chef comprenait la nécessité de faire quelqu'acte de pouvoir, s'il ne voulait être bientôt réduit au triste rôle de son prédécesseur. A la tête d'une centaine de cavaliers des Nettenems et des Beni-Djâd, il se rendit à l'Arbâ des Beni-Khalfoun, et somma la tribu de lui fournir un approvisionnement de foin. On ne voulut même pas lire ses lettres. Les Nezlyouas, chez lesquels il alla faire la même demande, le chassèrent de leur pays. Trop faible pour en tirer vengeance, il dut dévorer ces affronts, ainsi que la risée publique prompte à les suivre ; car sa troupe fut sur nommée l'armée au foin. Ben-Salem, homme de grand cœur, souffrit beaucoup de ces insultes. En désespoir de cause, il écrivit à son maître qu'il lui fallait un corps régulier pour obtenir l'obéissance.

Abd-el-Kader n'en douta point ; et comme chez lui l'exécution suivait toujours immédiatement la pensée, il expédia de suite, en Kabylie, un agha et six siafs (officiers). L'agha se nommait Abizîd, très-distingué par sa bravoure; il apportait au khalifa cent vingt deux tentes, six cents habillements complets, et l'ordre d'enrôler sur-le-champ des soldats.

 
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