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Alors se leva Ben-Aâbbou, oukil de l'émir, qui, gravement et sentencieusement, à la façon des Arabes, jeta ce proverbe à la foule :

El-aâdou ma ierdjâa sedigue
Ou el-negrala ma ierdjâa deguigue.

L'ennemi ne devient jamais ami ;
Le son ne devient jamais farine.

Sans faire autrement attention aux paroles de Ben Aâbbou : " Nous vous jurons, répondirent les Kabyles à l'émir, que nous sommes des gens sensés et connaissant l'état des choses ; mais nous ne voulons pas que personne s'initie à nos affaires ou cherche à nous imposer d'autres lois que les nôtres. "

" Nous savons encore ce qu'il nous convient de faire, eu égard aux préceptes de la religion. Comme nous vous l'avons dit, nous donnerons à nos mosquées la zeccat et l'achour ; mais nous n'entendons pas que des étrangers en profitent. Quant aux chrétiens, viennent jamais chez nous, nous leur apprendrons ce que peuvent les Zouaouas à la tête et aux pieds nus.

" - Assez ! assez ! interrompit Abd-el-Kader ; le pèlerin s'en retournera comme il est venu. Que la volonté de Dieu soit faite !

" - Allez donc en paix, reprirent les Kabyles, puisque vous êtes venu simplement nous visiter. Les pèlerins et les voyageurs ont toujours été bien reçus chez nous ; nous pratiquons l'hospitalité ; nous avons de la fierté, et nous craignons les actions qui peuvent attirer sur nous le blâme ou la déconsidération.

" Une autre fois présentez-vous avec la splendeur d'un prince, traînez à votre suite une armée nombreuse, et demandez-nous, 

    

 

   
ne fût-ce que la valeur d'un grain de moutarde, vous n'obtiendrez de nous que de la poudre. Voilà notre dernier mot. "

Après son entrevue avec les Kabyles à Sidi-Aly-ouMoussa, l'émir monta à cheval pour se rendre à Bordj Tiziouzou chez les Ameraouas. Il y passa la nuit, et tint aux Kabyles qui vinrent l'y trouver les mêmes discours à peu près, qu'il avait tenus à leurs frères des montagnes. S'il ne trouva pas chez eux des gens complètement disposés à le seconder, il en reçut pourtant des réponses beaucoup moins véhémentes ; soit que la situation de leur pays dans le voisinage de la plaine eût un peu adouci l'âpreté de leurs mœurs, soit qu'en raison même de cette situation ils cherchassent à se ménager au besoin la protection puissante du jeune sultan.

Ils lui dirent que si les tribus qui étaient sur leurs derrières se soumettaient, ils se soumettraient également. Le lendemain Abd-el-Kader se rendit à Dellys qu'il ne connaissait pas ; il y fut accompagné par Sid Abd-er-Rahman, lieutenant et parent de Ben-Salem.

" Comment pouvez-vous vous résoudre à habiter une ville du littoral? lui dit l'émir ; quant à moi, je n'y passerais pas une nuit sans me faire bien garder de crainte d'être surpris par les chrétiens. "

Sid-Abd-er-Rahman lui répondit qu'il y restait sans inquiétude, parce que, au dire des gens du pays, deux marabouts, Sidi-Soussan et Sidi-Abd-el-Kader, protégeaient la ville contre les attaques des infidèles, l'un du côté de la terre, l'autre du côté de la mer. Étiez-vous présent, demanda l'émir à Sid-Abd-er-Rahman, lorsque ces marabouts firent les promesses sur la foi desquelles vous dormez?

" - Non.

 
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