Vous ne pouvez y voyager qu'en pèlerin,
et sous la sauvegarde de l'anaya, que nous vous donnerons.
" - C'est bien mon intention, répondit Abd-el-Kader ;
car si j'avais eu la pensée de recourir à la force, je ne
serais venu ici qu'avec une armée dix fois plus forte que
celle avec laquelle j'ai réduit les Zouathnas. "
Le lendemain, les chefs des Ameraouas et des Flissas
l'accompagnèrent à Tamda, près de Ras-Oued-el-Neça. De
là, il se rendit à Akbou, de là à Zan, puis chez les
Sidi-Yaya-bou-Hatem, au-dessus des Beni-Ourghlis, ensuite chez
les Toudja, de là chez les Tamzalet, pa trie de la famille
Oulid-ou-Rabah, puis chez les Beni-bou-Msaoud, enfin chez les
Sidi Mohammed-ou-Maameur, sur la Summam, en face de Bougie.
Cette route n'est pas directe ; mais les points énoncés
sont les plus culminants, et l'émir voulait profiter du
temps, qui était beau, pour étudier le pays. Pendant tout le
trajet, Abd-el-Kader fut bien traité ; plus d'une fois il eut
même à subir une très-importune, quoique très-généreuse
hospitalité. A peine arrivé au gîte, de nombreux Kabyles,
tête nue et le bâton à la main, venaient lui présenter la
diffa de leur pays, énormes plats en terre (djefana) remplis
d'un mauvais couscoussou à l'huile, parsemé de quelques
morceaux de viande sèche et maigre. Chacun déposait le sien
devant la tente de l'émir, et le fouillait de son bâton en
criant à son hôte : " Mange ! c'est mon djefana !
" Abd-el-Kader, pour ne pas faire de jaloux, fut ainsi
forcé de toucher aux plats sans nombre dont il était
entouré ; car les Kabyles ne cessaient d'y planter leurs
bâtons jusqu'à ce qu'il y eût fait honneur. Le cheikh
Mohammed-Amzian, et son frère, le cheikh Merad, vinrent
trouver l'émir sur l'Oued-Sahel ; il leur tint à peu près
le même langage qu'il avait tenu chez les Mâtekas, les
engageant encore à ne pas compter sur la durée de la paix,
et à ne rien laisser de leurs richesses dans les plaines.
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