Vous savez que le prophète ne
permet aucune soumission aux infidèles, tant qu'il reste un
coin de terre musulmane accessible aux croyants.
" - C'est vrai, répliqua Ben Mahy-ed-Din ; mais à
qui laisserons-nous la garde et le soin de nos femmes, de nos
vieillards, de nos enfants et de nos pauvres ? Dieu recommande
aussi de ne les point abandonner.
" - Vos paroles sentent le Français, riposta
Ben-Salem ; vous aurait-il déjà gagné ?
" - Eh bien! ajouta Ben Mahy-ed-Din, allez au paradis
; moi, dussé-je entrer aux enfers, je n'abandonnerai ni mon
pays, ni les tombeaux de mes ancêtres, ni les serviteurs de
ma famille, ainsi que vous me le conseillez. Dieu sera juge
entre nous deux. "
Là-dessus, ils se séparèrent très animés l'un contre
l'autre, pour ne plus se revoir que fort longtemps après, et
dans des positions bien différentes.
Ben Mahy-ed-Din rentra chez lui ; mais le bruit de ses
projets de soumission aux Français y avait déjà circulé,
et bien que ce fût le parti généralement désiré dans
l'état actuel des choses, sa perte fut bien près d'en
résulter. Les hommes turbulents, qui se trouvaient en nombre
chez les Beni-Slyman, avaient eu beaucoup à se plaindre de
l'énergie de leur agha ; ils formèrent un complot pour le
renverser, en mettant à profit le prochain changement
d'autorité supérieure. Bientôt une sortie de la colonne de
Médéah vint favoriser leur complot ; ils s'emparèrent de
Ben Mahy-ed-Din et le conduisirent au camp français, en lui
disant : " Vous vous êtes rassasié de nous commander,
mais le commandement des chérifs est passé ; celui de Bou
baretta (le père de la casquette) commence. Allons, venez
comparaître devant lui ; vous allez expier vos méfaits.
"
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