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Arabe du Bordj qu'il le préviendrait au moment de la prochaine arrivée de Ben-Salem en cet endroit. Le khalifa trouva donc un beau jour, sur son passage, le vieillard irrité qui l'accabla d'imprécations : " Ma noce, lui dit-il, a eu lieu en été ; la tienne aura lieu en hiver, dans la nuit et par une pluie battante. Je supplie Dieu qu'il prolonge assez mon existence pour que je puisse voir tes enfants entre les mains des chrétiens. "

Ben-Salem fut tellement exaspéré de cette sortie qu'il convoqua les ulémas, leur proposa de juger le coupable et déclara que, dussent-ils le condamner à mort, la sentence serait exécutée. Mais on lui répondit que Sidi-Zeïd était un homme très-avancé en âge, ne sachant plus ce qu'il disait, et que le mieux serait de passer outre ; cependant Ben-Salem ne le remit en liberté qu'au bout de deux mois.

Comme l'émir était depuis quelque temps rejeté sur la frontière du Maroc, il en revenait tous les jours des individus isolés qui, ayant suivi sa fortune jusqu'à l'extrémité de l'Algérie, ne voulaient pas s'expatrier entièrement : leurs récits et leur retour seul publièrent partout la ruine du parti. Ce fut d'abord le coup de grâce pour Sid Ahmed-ben-Aômar, khalifa d'Abd-el-Kader dans la Medjana, qui, laissant le champ libre au nôtre, Ben-Mohammed-el-Mokrani, livra sa troupe régulière à Ben-Salem, faute de la pouvoir nourrir ; et partit pour rejoindre son maître. Quant à Ben-Salem même, ces débris d'une cause perdue n'ajoutaient presque rien à ses moyens de défense, et ne faisaient que le désigner davantage à nos coups.

Si Mohammed-Ben-Mahy-ed-Din, des Beni-Slyman, lui avait demandé une entrevue ; il l'obtint et lui dit : " Voilà les chrétiens prêts à nous attaquer. Que devons-nous faire ?
" - Nous enfuir chez les Zouaouas, répondit Ben Salem, y placer nos richesses et nous livrer au métier de partisans avec nos cavaliers, pour faire à l'ennemi le plus de mal possible. 

    

 

   
Vous savez que le prophète ne permet aucune soumission aux infidèles, tant qu'il reste un coin de terre musulmane accessible aux croyants.

" - C'est vrai, répliqua Ben Mahy-ed-Din ; mais à qui laisserons-nous la garde et le soin de nos femmes, de nos vieillards, de nos enfants et de nos pauvres ? Dieu recommande aussi de ne les point abandonner.

" - Vos paroles sentent le Français, riposta Ben-Salem ; vous aurait-il déjà gagné ?

" - Eh bien! ajouta Ben Mahy-ed-Din, allez au paradis ; moi, dussé-je entrer aux enfers, je n'abandonnerai ni mon pays, ni les tombeaux de mes ancêtres, ni les serviteurs de ma famille, ainsi que vous me le conseillez. Dieu sera juge entre nous deux. "

Là-dessus, ils se séparèrent très animés l'un contre l'autre, pour ne plus se revoir que fort longtemps après, et dans des positions bien différentes.

Ben Mahy-ed-Din rentra chez lui ; mais le bruit de ses projets de soumission aux Français y avait déjà circulé, et bien que ce fût le parti généralement désiré dans l'état actuel des choses, sa perte fut bien près d'en résulter. Les hommes turbulents, qui se trouvaient en nombre chez les Beni-Slyman, avaient eu beaucoup à se plaindre de l'énergie de leur agha ; ils formèrent un complot pour le renverser, en mettant à profit le prochain changement d'autorité supérieure. Bientôt une sortie de la colonne de Médéah vint favoriser leur complot ; ils s'emparèrent de Ben Mahy-ed-Din et le conduisirent au camp français, en lui disant : " Vous vous êtes rassasié de nous commander, mais le commandement des chérifs est passé ; celui de Bou baretta (le père de la casquette) commence. Allons, venez comparaître devant lui ; vous allez expier vos méfaits. "

 
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