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impossible de contenir les Arabes. Ils sont toujours de la religion du vainqueur, je vous le jure ; si vous tardez à venir, les malheurs de Berkani ne seront rien en comparaison de ceux qui vont m'accabler. Répondez-moi de votre main ; donnez-moi des nouvelles qui puissent retarder ma chute. "

L'émir répondit immédiatement : " J'ai reçu la lettre par laquelle vous m'apprenez que l'on a répandu dans le Cheurg la nouvelle de ma mort. Nul ne peut échapper à la mort : tel est l'arrêt du Tout-puissant. Toutefois, Dieu en soit loué ! mon heure n'est pas encore venue ; car, plein de force et de santé, je combats à outrance les ennemis de notre religion ; c'est par de semblables épreuves que l'on connaît les bommes. Soyez toujours le même : calme, inébranlable, patient, et Dieu vous récompensera. J'irai vous trouver aussitôt que j'aurai terminé mes affaires dans le Gharb. "

A cette lettre confidentielle en était jointe une autre qui devait être lue publiquement dans les marchés ; elle contenait des passages tels que ceux-ci :

" Ne soyez pas inquiets de la présence des infidèles dans le Gharb ; ils n'y font qu'y suivre les routes comme des muletiers ; ils y campent toujours dans des lieux abandonnés par les Arabes, où ils ne trouvent que des cendres et des puces. Lorsqu'ils s'en retournent chez eux, ils sont vivement pour suivis par les défenseurs de la foi. C'est ainsi que nous en massacrons toujours un grand nombre et que nous faisons un butin immense. Restez dévoués à votre khalifa ; sous peu, je viendrai parmi vous. "

On sait qu'Abd-el-Kader ne s'est jamais fait aucun scrupule de transformer ses plus graves échecs en pompeuses victoires, moyen qui a dû souvent lui réussir, dans un pays où les communications sûres et régulières manquent absolument. Quant à la moralité de l'acte, il l'éludait en répétant : 

    

 

   
" Les ennemis de la foi en seront attristés, les fidèles s'en réjouiront. " Mais, dans la conjoncture actuelle, il avait affaire à des hommes devenus défiants à force d'avoir été trompés. Aussi Ben-Salem, selon sa coutume, donna la plus grande publicité à la lettre du sultan et ordonna des fantasias en réjouissance de ses succès. Les fantasias furent exécutées, mais le peuple n'en continua pas moins à douter des victoires et même de l'existence d'Abd-el-Kader.
 

IV.

 
Il s'éleva, sur ces entrefaites, un nouveau sujet d'inquiétudes. Le bruit courut que les Français préparaient une expédition contre l'est.

Rien de plus vraisemblable : ils avaient abattu successivement tous les khalifas de l'émir, Ben-Salem seul tenait encore ; son tour semblait irrévocablement venu. Toutefois les populations, et surtout les plus menacées, n'avaient aucune peine à comprendre que c'était seulement Abd-el-Kader qu'on voulait attaquer dans leurs personnes, et dès lors elles considérèrent la présence de Ben-Salem au milieu d'elles comme une calamité publique. Il se forma par suite, contre le khalifa, une opposition sourde dont les organes principaux furent le vénérable marabout Sidi-Zeïd, et deux chefs des Beni-Djâd, Bouzian et El-Hamidi. Ben-Salem ménagea d'abord le premier qui jadis avait été son précepteur ; il se contenta de l'enfermer à Bordj-el Arib ; mais ayant appris que les autres venaient de faire un voyage à Alger, il s'empara d'El-Hamidi et le fit exécuter.

Sidi-Zeïd demandait instamment à voir le khalifa et ne pouvait l'obtenir ; il renouvela cette prière par écrit, ajoutant que si toutes ces choses étaient arrivées, c'est que Dieu l'avait décrété. Ben-Salem écrivit sur le dos du billet : " Puisqu'il en est ainsi, attendez que Dieu décrète notre entrevue. " Alors Sidi-Zeïd obtint d'un 

 
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